Chronique d'une guerre annoncée 

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Professeur Khalifa Chater

vice-Président de l'AEI, Tunis.

 

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Janvier - Mars 2005

 

La guerre continue de plus belle. L’arbitrage électoral a enregistré la participation  de la majorité chiite, qui attend de prendre la relève, alors que la minorité sunnite l’a boycotté. Est-ce que les élections du 30 janvier risquent d’aggraver la mésentente, de mettre en échec l’unité nationale et d’instituer l’instabilité. Des voies de sagesse se sont élevées, au sein des deux clans, en faveur d’une réconciliation nationale, dans le cadre d’une stratégie de restauration de la souveraineté irakienne. La communauté internationale doit accompagner ce mouvement et prendre en ligne de compte cette volonté de reconstruire le consensus et ce désir exprimé par la plupart des formations politiques d’établir, dans les meilleurs délais possibles, l’agenda d’évacuation des troupes étrangères. Une telle solution placerait en situation de hors jeu les partisans de la dérive terroriste.

 

Mais la «pacification» et les prises de position de certaines  composantes  de la résistance ne sont pas de nature à faciliter « le processus de normalisation » de l’Irak. Est-ce que le deuxième mandat du Président Bush est susceptible de remettre à l’ordre du jour les solutions politiques et  diplomatiques ? Peut-on, par contre,  accréditer la thèse avancée par le New Yorker, annonçant que l’Iran sera la cible du nouveau mandat.

 

10 janvier 2005 :

 

«Le jour où il n’y aura plus de journalistes à Bagdad, Donald Rumsfeld, le secrétaire d’Etat américain à la défense et le représentant d’Al-Qaida, en Irak, Abou Mossab Al-Zarkaoui seront les principales sources d’information » (Serge July, Libération, 8 janvier 2005).

 

Grave dilemme posé par la disparition de la journaliste de Libération, Florence Aubenas, le 5 janvier, comment concilier «le devoir d’informer et le souci de sécurité» ? Observation pertinente et prise en considération de la situation réelle, le Président français Jacques Chirac «déconseilla  formellement aux journalistes », le 7 janvier, de se rendre en Irak. Mais la réponse du Directeur de Libération, le lendemain, fait valoir l’éthique professionnelle du journaliste qui ne doit pas faire défection, quel que soit le contexte[1]. Or la guerre d’Irak met tout le monde en danger puisqu’elle n’épargne pas la population civile, instituant les attaques de prévention, contre les menaces réelles ou supposées.  Du coté de la résistance, dont on doit souligner la diversité des composantes et admettre l’existence dans ses marges, sinon en son sein, d’importantes fractions terroristes et utopiques, la prise d’otages - des journalistes dans ce cas -, et les attaques tous azimuts, ne peuvent que desservir leur cause. Cette corruption idéologique doit être soulignée et dénoncée, au même titre que l’usage de la torture d’Abou Gharib, de Bassora et des autres lieux de détention.  

Autre dilemme aussi grave, comment concilier le recours aux urnes pour normaliser la situation et restaurer la souveraineté nationale et  la résistance qui fait valoir son objectif prioritaire de mettre fin à l’occupation ? Peut-être aurait-on dû procéder autrement pour assurer la résolution du conflit, en considérant les élections comme mécanisme de ratification d’un consensus à construire au préalable ?

 

19 janvier 2005 :  Est-ce que le changement du titulaire du Département d’Etat – le remplacement de Collin Powell par Condoleezz Rice - peut induire des changements significatifs dans la diplomatie américaine et, par conséquent, dans le traitement de la question irakienne ?  Nous ne le pensons pas. Son discours, lors de son audition par la commission sénatoriale des relations étrangères, mardi 18 janvier, en vue de la confirmation  de sa nomination au poste de secrétaire d'Etat fait valoir la nécessité d’un re-déploiement sinon d’une rectification du tir de la diplomatie américaine.  Fut-il entaché par une gaffe diplomatique, puisque la future Secrétaire d’Etat  a qualifié, le tsunami qui a frappé l'Asie du sud de "merveilleuse occasion" pour la diplomatie américaine dans les pays musulmans de cette région, il exprime implicitement le souhait de redorer le blason de la diplomatie américaine[2]. Changement de style ou révision d’une stratégie, la question relève davantage du Chef de l’exécutif.  Or le président américain George W. Bush vient de déclarer, dimanche 16 janvier, à quatre jours du début de son second mandat présidentiel et à deux semaines des élections dans ce pays en proie à des violences persistantes, que sa réélection signifiait «une approbation de la guerre en Irak par l'électorat américain[3]». Fait d’évidence, la donne a bien changé, en Irak, remettant en cause toutes les prévisions des acteurs. Fut-il conforté par une certaine adhésion populaire, le politique est appelé à adapter sa stratégie au contexte géopolitique international, sachant que les élections ne  donnent pas  à l’élu une carte blanche, dans l’absolu. Nous ne devons pas, par ailleurs, occulter les grandes manifestations qui ont condamné la guerre d’Irak, dans les grandes villes d’Amérique.

23 janvier 2005 : Les feuilletons des tragédies quotidiennes, résultant des affrontements entre les troupes de la coalition et les différentes composantes de la résistance, assombrissent l’horizon irakien. Il serait vain de présenter une comptabilité fastidieuse et macabre. La mort d’un seul homme atteste la gravité de la situation. Déchaînement de la haine, climat de suspicion générale, les factions s’attaquent désormais aux lieux de culte, aux symboles religieux[4], aux journalistes, à la population civile, vaquant à ses affaires. Est-ce que ce climat d’insécurité générale est propice à l’organisation des élections. Comment y entrevoir, par excès d’optimisme irréfléchi et irresponsable, une sortie du tunnel !

Le président américain a prêté serment pour un second mandat de quatre ans et a souligné dans «un discours aux accents messianiques[5]» que les Etats-Unis devaient défendre la liberté dans le monde pour se protéger du terrorisme. Lors de son discours d’investiture, le  Président Bush s’abstint de citer l’Irak. Sans doute, voulait-il, dépasser cette réalité brûlante, par l’ouverture de nouvelles perspectives. Des manifestations et des cérémonies de « contre-investiture », organisées à cette occasion, rappelaient la gravité du contentieux irakien entre l’Establishment et l’opinion avertie. «De faux cercueils couverts de la bannière étoilée, des slogans anti-guerre, les opposants de George Bush ont rivalisé jeudi (jeudi 20 janvier) à Washington avec l'apparat de la prestation de serment du 43e président des Etats-Unis[6]». 

24 janvier 2005 : L’Iran prochaine cible des USA ? L’article du New Yorker, la semaine dernière avance cette hypothèse. Est-ce que « le président Bush, son ministre de la Défense Rumsfeld en sont toujours, après l'Irak et l'Afghanistan, à rêver de «finir le travail», de remodeler le Proche-Orient, de répandre la démocratie, fut-ce sous le manteau d'une Pax americana imposée ?». Nous ne partageons pas cette malencontreuse prophétie du new Yorker et des analystes qui ont repris sa thèse[7]. Les Etats-Unis ont réalisé le coût de l’aventure irakienne et surtout « le splendide isolement» diplomatique  qu’elle  a provoqué. D’autre part, le programme affiché de «l’exportation de la démocratie », par les armes n’a pas été concluant. Il a, par contre, déclanché, une vive résistance et a instauré l’insécurité et l’instabilité, au profit des mouvements de dérive. 

En langage diplomatique, le discours  de la menace semble plutôt destiné à imposer un re-équilibrage de la politique iranienne et syrienne, instaurant un climat de coexistence et peut-être d’entente, dans le cadre de l’émergence d’un axe Téhéran-Bagdad et peut-être Damas, que l’arrivée au pouvoir des chiites en Irak est appelée à consolider. Une nouvelle alliance semble à l’ordre du jour, redimensionnant les Establishments sunnites, à moins que les élections du 30 janvier ne faussent le jeu, au profit d’une solution à l’afghane, qui risque de provoquer l’escalade.

2 février 2005 : Quelle signification faut-il donner aux élections irakiennes du 3O janvier dernier, organisées sous haute surveillance, dans  un climat d’insécurité, de peur et de méfiance ? Une participation de plus  de 60 %, est-ce à dire que les électeurs ont défié les menaces terroristes et qu’ils ont assumé leur participation citoyenne ? Ces jugements hâtifs doivent être nuancés[8]. L’engagement chiite et kurde dans le processus électoral est évident. L’establishment a pu compter sur l’appui des deux puissants alliés objectifs, exclus des instances du pouvoir par l’Etat saddamien. D’autre part, les adversaires du régime du Baath et les politiciens qui répugnent la dérive terroriste ont préféré faire le pari de la restauration de la souveraineté par la voie électorale. Rien n’indique que les électeurs de dimanche donnent carte blanche au régime de transition.

D’autre part, dans ce contexte tragique – où les contentieux historiques occupent l’avant- scène - les élections semblent hélas consacrer les lignes de fractures entre les ethnies et les obédiences religieuses. La ligne de démarcation entre l’aire chiite et le triangle sunnite dessine une nouvelle approche des réalités irakiennes et moyen-orientales. La communauté internationale - le pouvoir onusien, en l’occurrence - aurait peut-être dû, au préalable, assurer les conditions requises à cette exercice des libertés, en reconstruisant le consensus national, en se mettant à l’écoute des différents acteurs irakiens, y compris, bien entendu, la résistance nationale. Fut-elle postélectorale et par conséquent tardive, la réconciliation peut mettre en échec les dérives terroristes et instaurer un climat d’apaisement général.

Une nouvelle carte géopolitique du Moyen-Orient qui ferait valoir essentiellement les données religieuses fragiliserait davantage l’aire arabe et mettrait à l’ordre du jour un nouveau système d’alliances. Elle consacrerait, à plus ou moins brève échéance, l’émergence de l’axe Téhéran- Bagdad. Mais nous n’en sommes pas encore là. Dans l’immédiat, la nouvelle donne a remis en cause, la culture politique nationale. Constat d’évidence, les Irakiens semblent partagés entre ceux qui font valoir « la culture régionale[9]», consacrant la démarcation chiites/sunnites, ceux qui admettent «la culture de sujétion» et les partisans de la mobilisation citoyenne d’une «culture de participation», où les citoyens sont conscients de leur capacité d’infléchir le cours des événements. Pouvait-on dire que les Irakiens ont plébiscité la démocratie[10] ? Certainement, dans la mesure où les élections ont affirmé la reconnaissance du fait chiite et kurde, tout en défiant courageusement  «la stratégie des extrêmes». Mais, ne perdons pas de vue que la démocratie est d’abord et avant tout une culture[11] et qu’elle implique l’autonomie de la décision, la liberté de choix, dans le cadre de la construction permanente du consensus national, sinon d’un modus vivendi, assurant la participation de tous dans l’édification nationale et la réalisation des enjeux individuels et collectifs.

En tout cas, les élections irakiennes, qui expriment aussi un ras le bol, peuvent constituer un tournant stratégique, dynamisant le processus de normalisation, selon le libre choix des diverses composantes de la société irakienne. Fait d’évidence, elles s’inscrivent, d’une certaine façon, dans une reprise consciente de l’initiative. En tant que telles, elles constituent un préalable, un moyen pour atteindre l’objectif.

4 février 2005 : Le discours sur «l’Etat de l’Union» du Président Bush (2 février 2005) accorde une importance primordiale à la question irakienne. Nous ne nous attardons pas sur son ton optimiste, son occultation de l’escalade tragique en Irak et  son appréciation prématurée des effets d’entraînement des élections du 30 janvier, qui s’inscrivent dans le paradigme idéologique dichotomique et réducteur dominant de l’Establishment américain. Fait novateur, une certaine volonté de sortie de crise semble annoncée, pour « un Irak libre et souverain ». Cette prise en compte du mot d’ordre relatif au recouvrement de la souveraineté doit être souligné. Dépassant le scénario schématique qui se propose d’importer une « démocratie clef en main » en Irak et au Moyen-Orient – la fameuse « démocratie Nescafé», selon le concept d’Octavio Paz[12] -  il déclara que «les Etats-Unis n’ont ni le droit, ni le désir, ni l’intention d’imposer leur forme de gouvernement à quiconque». Cette déclaration de principes semble remettre en cause le fameux «droit d’ingérence», sérieusement mis à l’épreuve. Nous relevons également que le discours de l’Union évoque les conditions qui favorisent l’extrémisme et les visions meurtrières : « Si des régions entières du monde restent la proie du désespoir et voient la haine se répandre, elles deviendront un terrain propice au recrutement des terroristes…».  Une analyse qui dépasserait la description des symptômes sécuritaires à l’identification des raisons des ressentiments, des désespoirs, des utopies et bien entendu des dérives mettrait à l’ordre du jour un meilleur traitement politique - car fondé sur un diagnostic pertinent - des tensions dans le monde. Nouvelle approche ou simple lifting du politiquement correcte, le traitement de l’actualité internationale nous fournira la réponse ! Je me permettrais, à ce propos, de citer l’avertissement tragique de Luiz Lula da Silva :

«Un tremblement de terre silencieux qui se répercute depuis les ravins de l’inégalité globale et qui pose à nouveau l’immense défi de convaincre les peuples du monde de s’engager en faveur d’un projet de coopération de masse au XXIe siècles[13]»

 

13 février 2005 : « Rice prône un "nouveau chapitre des relations" Etats-Unis/Europe[14]», ainsi définissent les agences de presse le voyage de Condoleezza Rice en Europe. Au cours d’une conférence à l’Institut des Etudes Politiques de Paris (IUP), mardi 8 février, le nouveau Secrétaire du Département d’Etat affirma la volonté américaine de "tourner le dos aux désaccords du passé" et "d’ouvrir un nouveau chapitre des relations" transatlantiques.  Comment interpréter l’initiative américaine ? Ziad Limam, parle d’un «break» américain[15], après les déboires de la politique américaine en Irak.  Est-ce que les Américains ont pris conscience de la nécessité de rétablir la gestion internationale multilatérale pour engager une sortie de crise ? Nous en sommes à la phase du discours pieux, non étayés par des prises de décision et même pas des déclarations d’intentions. Ce qui est certain, c’est que le choix de  l’Institut des Etudes Politiques de Paris n’est pas fortuit. On a parlé d’une volonté de persuasion des nouvelles générations. Possible! Mais Condoleezza Rice a, peut-être, pensé inscrire la défense de la politique américaine dans un  débat d’idées et de principes qui lui a été bien défavorable. Comment remédier à ce rejet idéologique suscité par son aventure irakienne ? Cette prise en compte du «pouvoir des normes», incarnée par l’intelligentsia et défendu par les grandes manifestations internationales pourrait expliquer une velléité, non encore confirmée de désescalade. Pragmatique, la praxis politique américaine s’est rendue compte des échecs évidents sur le terrain du scénario de la promenade militaire. Mais trop d’intérêts sont en jeu pour permettre les remises en cause nécessaires.

 

16 février 2005 : La publication dimanche 13 février des résultats des élections irakiennes du 30 janvier permet leur meilleure évaluation. Chiffre record et surprenant, plus de quatre cents listes ont participé au scrutin. Certaines se définissent, faute d’organisation ou de programme, par les noms des têtes de listes. Les résultats confirment de l’alliance irakienne unifiée, la principale liste chiite, soutenu par Ayatollah Sistani (48,1 %, prés de 130 sur  275 sièges) et les principaux partis kurds (plus de 25,7 %, prés de 70 sièges), alors que la liste du Premier Ministre intérimaire Iyad Allaoui  n’obtenait que 13,8 % de suffrages et une quarantaine de siège. Ce qui annonce une recomposition du paysage politique et des rééquilibrages gouvernementaux significatifs. Est-ce que le soutien américain peut assurer la survie de l’équilibre instable que représentait le compromis de l’équipe de transition.

Nous remarquons, cependant que les lecteurs ont le plus souvent voté, sans connaître leurs candidats, sans prendre connaissance de leurs programmes politiques et sans campagnes électorales - fussent-elles embryonnaires et formelles ! Ils se sont exprimés, dans leur quasi majorité, selon leurs références originelles ethniques ou religieuses, dans un climat de peur et d’insécurité. Une élection sans vie politique, sans vrais partis[16], sans débats, dans un contexte d’exception. Rappelons d’autre part, l’intrusion dans la sphère politique, des Establishments religieux, agissant comme sources d’autorité. La Fatwa de l’ayatollah Sistani, appelant à la participation aux élections et recommandant la liste qui se réclame de son obédience, ne pouvait qu’induire de nouvelles règles de jeu, alors que les marajaa chïtes (références religieuses) constituaient, sur la scène irakienne, des hiérarchies parallèles, dominant les partis

Couronnement du processus de normalisation de l’Irak, les élections irakiennes ont eu lieu dans une ère pré-démocratique, sinon pré-politique. Leur principal enjeu concerne, pour la quasi majorité des électeurs, l’affirmation d’indépendance nationale et/ou ethnique, en attendant le recouvrement de la souveraineté et l’établissement d’un environnement démocratique. Dans l’état actuel des choses, les compromis afghans ou irakiens ne peuvent s’ériger en modèles. Autre fait à signaler, l’important taux d’abstention volontaire ou de fait, par suite de l’insécurité, a bien assuré la surreprésentation des Kurdes et dans une certaine mesure des chiites, aux dépens des sunnites. Ce qui relativise ces résultats conjoncturels, entachés, par ailleurs, par leur contexte tragique.  En dépit de ses réserves, ces élections peuvent constituer un point de départ pour redynamiser le processus de sortie de crise, par la reconstruction du consensus national et la formation d’un gouvernement d’unité, soucieux d’affirmer ses choix souverains.

25 février 2005 : Décrispation des relations transatlantiques, le voyage du Président Bush en Europe, son discours de Bruxelles (22 février) et ses rencontres, à cette occasion avec le Président Chirac et le chancelier Schröder ont tenté de dépasser les désaccords  sur la guerre d’Irak.  « Je ne vois pas les Etats-Unis comme étant coupés de l’Europe », déclara le Président Bush au journal français le Figaro (19 février). Mais les concessions américaines ménagent les susceptibilités européennes, de la « vieille Europe », sans annoncer un vrai changement de stratégie en Irak et au Moyen-Orient.  L’opération avait pour objectif de sortir les USA de son « isolement diplomatique », en associant l’Europe aux étapes de la sortie d’une guerre sans issue. Adoptant la voie diplomatique préconisée par les Européens, pour inciter l’Iran à renoncer à l’enrichissement de l’uranium « qui pourrait donner lieu à la fabrication d’armes nucléaires », Les Etats-Unis semblent privilégier  cette approche, alors qu’une solution militaire ne pouvait être envisagée après ses déboires évidents en irak.  Les USA veulent intégrer, à moindres frais, dans leurs jeux, leurs partenaires stratégiques traditionnels. L’Europe affaiblie par son élargissement, dans la mesure où les nouveaux membres privilégient l’alliance américaine, réalise que son entrée en scène au Moyen-Orient dépend de la bonne volonté américaine. La réconciliation, par raison, fait valoir la recherche de compromis réels ou symboliques. Mais la critique de l’unilatéralisme est mise aux vestiaires, en attendant un éventuel re-équilibrage des forces par l’émergence attendue et programmée de la Chine. Mais déjà le problème de la levée de l’embargo sur les ventes d’armes européennes à la Chine risque de fissurer ce front transatlantique où les « sautes d’humeur » traduisent des conflits d’intérêts. Est-ce que les Etats-Unis peuvent s’accommoder d’une Europe-Puissance ? 

2 mars 2005 : Une voiture piégée a explosé, lundi 28 février, devant un centre de santé, à proximité d'un marché en plein air très fréquenté, à Hilla à 100 kilomètres au sud de Bagdad. Le bilan est de 115 morts et près de 150 blessés. L'Irak a connu, son attentat le plus meurtrier, depuis la chute du régime de Saddam Hussein en avril 2003. La dérive atteint son paroxysme, par l’adoption d’une stratégie de l’absurde où l’on tue sans discrimination. La « croisade pour la démocratie » a, pour effet, de provoquer, par contre coup, de propager la violence, transgressant   toutes les normes de l’éthique.

6 mars 2005 : Relâchée par ses ravisseurs, vendredi 4 mars, un mois après son enlèvement, l’envoyée spéciale du quotidien italien IL Manifesto, Giuliana Sgrena a été blessée par des tirs à un barrage américain, sur la route qui devait conduire le convoi vers l’aéroport de Bagdad. Le chef des services spéciaux italiens, qui conduisit les opérations de sa libération, fut tué, lors de la fusillade. S’agit-il d’une « embuscade[17] », d’une leçon donnée aux Italiens, qui ont traité unilatéralement et sans informer leurs alliés de la coalition, ou  d’une simple « bavure » des soldats qui surveillaient le barrage ?  L’événement tragique suscita une vive polémique. Dans de tels cas, on ne doit pas exclure la bêtise de l’exécutant, ni les retards de la transmission des informations et des consignes. Mais les adversaires de la thèse américaine rappellent les performances américaines, dans les domaines de l’information et de la communication, nœuds des nouvelles guerres. Ce qui est, par contre, certain et déplorable, c’est que les troupes de coalitions ont, en Irak, « la gâchette facile », qu’ils tirent par prévention, multipliant les dégâts collatéraux,  -  c’est-à-dire des morts d’hommes. Ce pouvoir discrétionnaire de l’armée de la coalition est incompatible avec le discours des Droits de l’Homme qu’on cite volontiers, tout en occultant le Droit à la vie des habitants, pris en otage.

 

16 mars 2005 : Silvio Berlusconi annonça, hier, le retrait progressif des soldats Italiens d'Irak dès septembre. Est - ce qu’il envisage une stratégie de sortie ? Il est encore prématuré de l’affirmer. Mais le retrait du contingent italien, quatrième force de la coalition internationale, inquiète le pouvoir américain, qui prend acte de la fissure de l’alliance, depuis le volte-face espagnol, suite à un changement de l’équipe gouvernementale et aux défections annoncées des Polonais et des Ukrainiens.  Faut-il s’étonner de cette prise en compte des pouvoirs établis des volontés de leurs opinions publiques ? De telles attitudes ne peuvent offusquer les organisateurs de «la campagne démocratique», puisque l’écoute des citoyens répond à l’esprit et à la lettre du discours de la coalition. La mort de l’agent des services secrets, Nicola Calipari, tué par des tirs américains près de l'aéroport de Bagdad pendant l'exfiltration de la journaliste Giuliana Sgrena, a réanimé l’opposition à la guerre d’Irak. Soumis à la pression de  ses alliés, le gouvernement italien a une marge de manœuvre limitée, qui risque de l’inciter à différer la prise de position. Mais la déclaration d’intension du Premier ministre Silvio Berlusconi constitue un indicateur sur l’état d’âme des membres de la coalition, mis à rude épreuve sur la scène irakienne.

 

20 mars 2005 : Le Président Bush a affirmé, hier, dans le cadre de sa campagne de justification de la guerre d’Irak, que la victoire militaire des Etats-Unis sur le régime de Saddam Hussein avait "inspiré les démocrates réformateurs de Beyrouth à Téhéran", comme le prévoyait le projet de "Grand Moyen-Orient" de Washington. Faisant valoir la réussite des élections du 30 janvier - où l’initiative américaine a été énergiquement soutenue par les chïtes, soucieux de reprendre leur revanche – les médias ont cru signaler cette « métamorphose » d’un « président de guerre », en « un président libérateur » qui attise les braises de la démocratie dans tout le Proche-Orient[18]».  Cette approche a été annoncée, dès le 9 mars, par un article péremptoire  du journal parisien Le Monde, trois colonnes à la une, «Le Moyen-Orient bouge : faut-il remercier Bush ? ». Cette évaluation optimiste mérite un sérieux examen. En dépit de leur dimension ethnique, les élections irakiennes peuvent, certes, contribuer à la restauration de la souveraineté irakienne et peut-être, à plus ou moins long terme, à réhabiliter le citoyen irakien, après la nuit baathiste et le cauchemar de l’occupation. Mais il ne faut pas escompter un effet de dominos démocratique. Le cas du Liban est, bel et bien, une exception mise à rude épreuve par son environnement géopolitique. Partout ailleurs, le grave contentieux de la question palestinienne suscite des ressentiments, des colères et des malentendus, re-orientant la dynamique interne, re-hiérarchisant autrement les priorités.  Et n’oublions pas que les événements ont, hélas, ont créé un contexte favorable à la dérive passéiste et au terrorisme, dont le pole de tension irakien est érigé en relais dangereux dans certains pays du Golfe.

 

L’évaluation de la situation doit aussi prendre en compte, le développement spectaculaire de la mortalité en Irak, - près 100.000 civils irakiens, au cours des 17 mois ayant suivi l’invasion du pays, d’après la revue britannique The lancet[19] - du fait de « la pacification» des armées d’occupation et du harcèlement quotidien des troupes de la coalition et des partisans du gouvernement, par la résistance.

 

 

31 mars 2005 : La chronique de la guerre d’Irak illustre le paradoxe fondateur de la politique américaine. Une alliance, selon un savant dosage bien étudié, entre les extrêmes, le discours et la praxis : une occupation expliquée par une affirmation de la souveraineté populaire, un usage de la répression et de la torture, condamné après coup, dans ses cas les plus dénoncés, par les tribunaux américains. Ce mélange subtil permet de faire des réserves sur l’action politique effective, en faisant valoir les principes de l’éthique qu’on a transgressé. Les institutions démocratiques et les judiciaires sont soucieuses de remettre en question les comportements, les options, les initiatives de l’Establishment. Ce qui permet de concilier le citoyen américain avec sa vulgate démocratique et ses principes éthiques. Souci du politique de respecter les états d’âme des citoyens et de faire valoir les normes de son référentiel ?

 

Nous citons dans le cadre de ce paradoxe fondateur et spécifique, le discours sur les armes de destruction massive d’Irak et la publication aujourd’hui d’un rapport officiel, commandé par le Président Bush lui-même, démentant les assertions de son gouvernement, lors de la campagne organisée pour conditionner l’opinion publique et justifier la guerre. Après la lecture de rapport, tout autre commentaire est superflu.

 

 

 

 

Khalifa Chater

 

 31 mars 2005

 

 

 


 


[1] - Voir l’article de Michel Bole-Richard, « Irak : l’avertissement de Jacques Chirac, le dilemme des médias », in Le Monde, 9-10 janvier 2005, p.2.  

[2] - « Condoleezza Rice qualifie de "merveilleuse occasion" pour la diplomatie américaine les tsunami d'Asie du sud »,  dépêche de Washington de l’Agence AP, mercredi 19 janvier 2005.

[3] - «Bush estime que sa réélection est une approbation de la guerre en Irak», Agence France Presse, dimanche 16 janvier 2005.

[4] - Qu’il nous suffise de signaler la prise d’otage de l'archevêque catholique syriaque de Mossoul. Il a été libéré mardi 18 janvier 2005, près de 24 heures après son rapt.

[5] - Selon l’expression du correspondant du Figaro  Philippe Gélie. In Le Figaro, 23 février 2005.

[6] - Andy Sullivan,  « manifestations et cérémonie de "contre-investiture" à Washington », Reuters, vendredi 21 janvier 2005. -

[7] - Philippe Leymarie, « l’Iran Prochaine cible ? » RFI, 23 janvier 2005.  

[8]  - Les observateurs américains eux-mêmes ont exprimé une certaine défiance. Voir, par exemple, les comparaisons des situations en Irak et au Vietnam, évoquées par Todd. S. Purdum, « The Iraq-Vietnam paralleles, élections reflects similaritis in US Policy, in The New york Times. Voir aussi International Herald Tribune, 29-30 janvier 2005.

[9] - Nous nous référons à la distinction par G. Almond de trois grands types de culture politique : «culture politique paroissienne » (village, clan, ethnies), «la culture de sujétion» et « la culture de participation ». Voir Jean-Pierre Cot et Jean-Pierre Mounier, Pour une sociologie politique, Paris, Editions du Seuil, 1974, t. 2, pp. 17-18.

[10] - Voir l’éditorial de Gerard Dupuy, « préalable » Libération, 1er février  2005.

[11] - Voir l’analyse de Zaki Laïdi, «les blocages de la « démocratie Nescafé», Le Figaro, 28 janvier 2005.

[12] - Voir l’article de Zaki Laïdi, op.cit.

[13] - Voir son point de vue « Entre Davos et Porto Allegre, des champs communs possibles », in Le Monde du 27 janvier, pp. 1 et 13.

[14] - Titre de la dépêche de l’Agence Reuters, le 8 février 2005.

[15] - Analyse présentée dans le cadre de l’émission « kiosque », TV 5, 13 février 2005.

[16] - Qu’il nous suffise de nous référer aux définitions politiques des partis politiques :

    - « une réunion d’hommes qui professent la même doctrine politique » (Benjamin Constant, De la doctrine politique qui peut réunir les partis en France, 1816).

    - « Les partis actuels se définissent beaucoup moins par leur programme ou la classe de leurs adhérents que par la nature de leur organisation : un parti est une communauté d’une structure particulière. Les partis modernes se caractérisent avant tout par leur anatomie... » (Maurice Duverger  Les Partis politiques, 1951).

Voir l’article sur les partis in Encyclopædia Universalis, France, 2002 

[17] - Expression utilisée par le compagnon de la journaliste Pier Scolari. Le Monde, 8 mars 2005, p. 3.

[18] - Le  Figaro, 19 mars 2005. Analyse de son correspondant Ph. G. à Washington. 

[19]  - Voir l’article de Paul Benkimoun, « des experts de la santé exigent une enquête sur la mortalité en Irak », Le Monde, 12 mars 2005.