Chronique d'une guerre annoncée 

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Professeur Khalifa Chater

vice-Président de l'AEI, Tunis.

 

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Juillet - Septembre 2004

 

Triste record, atteint durant ce trimestre, plus exactement le 7 septembre 2004.  Plus de mille soldats américains sont tombées  sur les scènes de combats en Irak, depuis le déclenchement de la guerre. 80 % d'entre eux sont morts après la chute de Bagdad, en mai 2003. En pleine campagne présidentielle, focalisée sur la guerre d'Irak, le peuple américain prend la mesure de ces tristes tragédies qui affectent les familles américaines. Les morts n'ont pas de patrie, avais-je écris dans un précédent commentaire. Ils nous demandent des comptes. Comment accepter que l'humanité se déshumanise, en tolérant ces combats douteux ? Faut-il passer sur le compte des pertes et profits ces milliers de victimes irakiennes, qu'on a affirmé vouloir promouvoir et libérer ?  A Bagdad, la Liberté fut, en réalité, immolée, dans cet enfer pavé de bonnes intentions. Dans cette triste comptabilité, nous devons prendre en considération les milliers de morts palestiniens, ces victimes des représailles israéliennes,  d'une terreur d'Etat revendiquée, qui a pu s'exercer librement et impudiquement dans cette conjoncture favorable à la remise en cause des timides tentatives du processus d'Oslo.

 

Est-ce à dire que le feuilleton de la restructuration-pacification du Moyen-Orient n'est qu'à son premier épisode ? De nouveaux foyers de tensions sont, d'ors et déjà entretenus en Syrie, au Liban. Est- ce que la réalisation du «Great Middle East» passe à la deuxième vitesse ?  Mais les déboires rencontrés en Irak - un échec américain évident et une montée de périls pour tout le monde - peuvent inciter à plus de lucidité sinon de prudence, en l'absence d'enjeux pétroliers. Il s'agirait, dans ce cas, d'actes gratuits, à moins qu'il ne s'agisse tout simplement d'engager une démonstration de forces, au profit d'un allié stratégique encombrant.  

 

 

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15 juillet 2004  : Je me suis résolu, vu la montée des périls, à reprendre cette chronique d'une guerre qui refuse de se terminer. Pouvait-elle échapper aux rythmes bien connus des guerres coloniales, les résultats spectaculaires - vu le rapport des forces - lors des premiers engagements, puis l'enlisement générale, face à la résistance fermement soutenue par les populations occupées. Imposant ses modes de combats,  la résistance nationale oblige le belligérant à abandonner la guerre de mouvements, la confrontation classique entre les corps de troupes et l'avancée linéaire du front. L'ennemi est désormais partout, harcelant à partir de ses bases improvisées les forces d'occupation.  Le recours au concept colonial de «pacification», relayé par son équivalent diplomatique actuel de «sécurisation» marque le passage d'une guerre entre armées rivales à l'extension à l'ensemble des populations hostiles. Cette conversion coloniale de la guerre d'Irak - sinon son caractère originel - annihilent tout discours sur les enjeux démocratiques des opérations, puisqu'on agresse tous les opposants sur le terrain et qu'on culpabilise volontiers - dans le cadre d'un discours de persuasion, d'une quête de légitimation -  la civilisation, la religion et les valeurs de l'autre. Ainsi considérée, la guerre contre l'Irak a déjà atteint ce niveau de généralisation conflictuelle, redessinant sur la carte du «Great Middle East», ses cercles vicieux, établissant les frontières du fameux «choc de civilisations», porteur de morts et de désespoir.

 

21 juillet 2004  : La réunion des pays arabes, voisins de l'Irak (Le Caire, 21 juillet) et les visites du Président du gouvernement de transition Iyad Allaoui en Jordanie, en Egype, en Syrie et en Arabie Saoudite attestent une volonté de normalisation évidente. Mais il aurait fallu, au préalable, mettre fin à certaines diatribes, expliquant les événements d'Irak, par l'intervention des pays voisins[1].la campagne organisée par certaines instances soucieuses d'occulter le bien fondé de la tragédie irakienne. Cette explication des problèmes endogènes, par la «théorie du complot» extérieur n'a jamais servi les Arabes, bien que certaines interventions exogènes néfastes, dans le cas de la Palestine, par exemple, peuvent être difficilement démenties. 

 

Nous constatons, cependant, les velléités  de la résistance nationale irakienne de se dégager de ses alliances objectives avec les mouvements radicaux passéistes, qui s'en prennent à tout le monde, s'attaquant aux Irakiens, détruisant leurs infrastructures. Or, toute résistance doit cibler ses adversaires et condamner tous débordements néfastes[2]. Autre réalité, une politique alternative du gouvernement provisoire doit rechercher à reconstruire le front national, faire valoir la réconciliation générale et entrer en négociation, avec la résistance nationale, acteur incontournable sur le terrain. Mais est-ce que ceux détiennent les pouvoirs de décision toléreraient cette transgression des partenaires juniors, dont les marges de manœuvres sont bien réduites.

 

30 juillet 2004  : .Quel rôle peuvent jouer les Arabes en Irak ? Iyad Allaoui a envisagé une participation des troupes arabes, outres celles des pays voisins, au corps expéditionnaire de la coalition. Il s'agissait, plus exactement, de leur confier la charge de protéger les structures de l'ONU. Cette demande présentée par  Iyad Allaoui à la Ligue des Etats Arabes, le 22 juillet 2004, reçut un accueil favorable de la part des gouvernements saoudiens et américains. Etudiée par une commission tripartite de la Ligue des Etats Arabes (Tunis, 29 juillet), en présence du ministre irakien des Affaires Etrangères, elle n'eut pas de suite. La présence des troupes arabes pouvaient difficilement coexister avec l'armée d'occupation. D'autre part, l'envoi des troupes arabes semblait prématuré, tant qu'on n'aurait pas établi les conditions d'une sortie de crise, instaurant la souveraineté irakienne et fixant l'agenda de l'évacuation des troupes de la coalition.

 

10 août 2004 :   L'escalade américaine, marquée par les raids aériens contre la ville de Fallouja, le 23 juillet et le 29 juillet, devaient mettre le feu aux poudres. Elle remit en cause «l'équilibre instable» que les Nations Unies ont tenté d'instaurer. Qui avait intérêt à créer les conditions d'une guerre populaire ? en tout cas, la réaction ne se fit pas attendre. Les troupes de Moktada es-Sadre ripostèrent à Fallouja, Es-Sadr, El-Moussol, Basra, Ramadi et surtout les lieux saints du Néjef. 360 irakiens périrent dans les affrontements inégaux entre l'armée de la coalition et la résistance populaire, qui se poursuivaient depuis le 5 août.

 

18 août 2004 : Alors que le combat faisait rage, que les populations étaient quotidiennement pilonnées à Nejaf, le congrès national irakien, prévu par l'arrangement onusien, tenait ses assises (15-18 août). Unique décision importante, il décida de dépêcher une mission de conciliation auprès du jeune dirigeant chïte Moktada es-Sadre.  Mais la coalition préféra l'escalade, empêchant les pourparlers d'aboutir. Tenu dans ces conditions, le congrès national irakien, inscrit comme étape préliminaire de la restauration de la souveraineté, fut redimensionné dans les faits.  Il serait erroné de considérer sa tenue comme un non-évenement, dans la mesure où il met sur pied des structures de dialogue susceptibles de prendre en charge une négociation éventuelle pour repérer les conditions d'une entente salutaire.

 

27 août 2004 : Ayat-Allah as-Sistani a réussi, aujourd'hui, à imposer son arbitrage pour mettre fin à la guerre du Nejaf. De retour de Londres où il venait de subir une opération chirurgicale, le dignitaire chïte est arrivé jeudi 26 août à Nejaf,  à la tête d'un convoi de plusieurs milliers de fidèles.  Usant de son aura, il fit valoir  sa solution politique, préconisant la démilitarisation du Néjaf, par la dispersion de «l'armée du Mehdi» installée dans le mausolée de l'imam Ali, le dépôts des armes de cette milice, appelée à réaliser sa conversion en mouvement politique et l'évacuation des troupes de la coalition. Consacrant l'accord d'Ayat-Allah as-Sistani avec le chef de la rébellion Moktada es-Sadre, la solution annonce un engagement du mouvement chÏte, en faveur d'une restauration de la souveraineté irakienne, confirmée par la fin de l'occupation.  Nous devons prendre la mesure de ces données nouvelles,  qui redimensionne le gouvernement provisoire, déprécié par son alignement sur l'option sécuritaire de l'alliance et re-introduit dans le jeu politique la mouvance chïte, dans la diversité de ses composantes. La Marjaiya (la référence) chïte se considère comme «la seule véritable autorité actuelle». Elle remet désormais en cause la légitimité du gouvernement provisoire, qui “représente les Irakiens de l'extérieur” (déclaration d'Ayad al-Moussaoui, proche  d'ayat-Allah as-Sistani[3]).  Les troupes américaines “ont réussi la prouesse de désespérer les chïtes qui avaient pourtant observé une bienveillante neutralité, même au plus fort du bombardement des cités insoumises du triangle sunnite[4]”. Leurs récentes prises de position, similaires sinon proches des corps constitués sunnites[5]. L'épreuve du Nejaf et la solidarité qui s'est exprimée, durant cette épreuve, avec les partisans de Moktada es-Sadre rapprochent les points de vue des sunnites et des chïtes. Leur diagnostic, désormais objet d'un large consensus, remet en cause l'Establishment actuel et ouvre à la résistance populaire de nouvelles perspectives. En remettant les pendules à l'heure, en définissant les règles de jeu d'une résistance nationale politique, Il est susceptible de mettre en situation de hors jeu, les dérives des extrémistes des deux camps. Or la modération conforte la stratégie de la résistance. Elle est plus en mesure, à l'ère de la mondialisation et de la société de l'information, de convaincre l'opinion, en faisant valoir la légitimité nationale et le respect des normes du droit. .

 

29 août 2004 : Les observateurs avisés qui ont analysé les événements de Nejaf et évalué le processus diplomatique qui s'est conclu par l'arrêt des combats distinguent deux vainqueurs Moktada es-Sadre, reconnu comme dirigeant de la résistance populaire et Ayat-Allah as-Sistani, figure emblématique et charismatique du chïsme, qui a pu restaurer son prestige, en s'engageant courageusement dans le règlement du conflit, fort de la reconnaissance de son autorité par le jeune rebelle. Par contre, l'usage vain  de la force par les troupes de la coalition avec l'appui symbolique des forces gouvernementales, a desservi le gouvernement provisoire et la force de frappe américaine, identifiés désormais comme les principaux perdants de l'épreuve à court et à long terme. La recherche de scènes alternatives d'affrontements à Sadr - City, Fallouja - autres villes martyrs - pour  continuer, sinon terminer la triste besogne, ne pouvait que développer les tensions et perpétuer l'insécurité du pays et la désespérance de ses habitants. Dans cette conjoncture, le discours des droits de l'homme devenait un vœux pieux, perdant ainsi toute sa crédibilité, tel que la recherche mythique des fameuses armes de dissuasion massives. Reste alors cette idéologie au rabais de «la guerre des civilisations», invoqué par les va -t- en guerre. Mais la conscientisation de larges secteurs de l'opinion américaine - illustrée par l'organisation d'une importante manifestation pacifiste, à New York, à la veille de l'ouverture de la convention républicaine - est susceptible de susciter un sursaut citoyen, lors des prochaines élections présidentielles. Nous n'en sommes pas encore là. Mais le déroulement des événements, sur les scènes irakiennes, américaines et internationales ne semblent pas exclure, dans l'état actuel des choses, aucun scénario de sortie de la guerre ou de son extension à d'autres pays du Moyen-Orient, pétroliers de préférences, selon les priorités des néo-conservateurs.

 

2 septembre 2004 : Pays pris en otage, populations entières prises en otage, journalistes pris en otage, ces dérives des guerres du XXIe siècle  annoncent  le retour aux temps archaïques, aux lois de la jungle où tout était permis. Dans ces drôles de guerres, ces parties de cache-cache où l'homme joue, simultanément et parfois malgré lui, le rôle du chasseur et du gibier, du chat et de la souris, l'éthique morale ne constitue plus l'ultime régulateur des comportements humains. Quel déclin ! Identifié comme scènes de combats et d'extermination, par une hâtive et gratuite identification de forces du bien et du mal - la fameuse ingérence pseudo-démocratique - l'Irak vit son feuilleton de tragédies. La fin d'une dictature d'un honnie n'a pas permis de fonder un «laboratoire de démocratie». Était-ce, d'ailleurs, le vrai enjeu de la guerre ? La réalité est bien têtue. Aucun discours ne peut l'occulter, la masquer. La vietnamisation de l'Irak ne permet pas l'instauration d'une paix, dans le court ou le moyen terme. L'épreuve sera bien longue. La sortie de guerre n'est pas pour demain. Résistance et/ou terrorisme, Expéditions sécuritaires dites de «pacification», la population civile est désormais traquée. 

 

Stratégie de désespoir, violence jusqu'au boutiste, la prise d'otages  - bien souvent des innocents, qui n'ont rien avoir dans ces galères - ne peut guère être justifiée. La résistance nationale ne peut transgresser l'éthique des Droits de l'Homme qui la légitime et confond ses adversaires. La prise d'otages des deux journalistes français, le 20 août 2004 et l'exécution du journaliste italien, le 27 août  s'inscrit dans une dérive de la stratégie. Comment justifier cette culpabilisation de ceux qui sont venus servir la bonne cause et témoigner librement?  L'exercice de leur métier, sur les champs de batailles, relève du sacerdoce. En se trompant de cibles, la résistance perd ses  repères. Elle opte, bel et bien, pour le terrorisme. Circonstance aggravante, l'ultimatum des ravisseurs - qui réclament  le 28 août, l'abrogation par la France de la loi interdisant le port des signes religieux dans l'école et par conséquent le voile - est surprenant. Il s'agit d'un détournement de l'enjeu irakien, par la formulation d'un droit d'ingérence sur les mœurs et les pratiques d'un pays étranger d'Europe, qui de surcroît a condamné la guerre d'Irak et a refusé de s'aligner sur les positions de ses alliés traditionnels. La solidarité exprimée par la population musulmane de France avec les deux journalistes invite les preneurs d'otage à limiter leurs enjeux à la défense de leur cause et condamne cet amalgame, sans objet.

 

17 septembre 2004 : Rétablissant les vérités, Kofi Annan, le Secrétaire Général de l'Onu a affirmé, le 15 septembre, lors d'une interview à la BBC, que “la guerre d'Irak  n'était pas conforme à la Charte de l'Onu et qu'elle était illégale de ce point de vue”[6]. Cette prise de distance, à la  veille des élections américaines, méritait d'être prise en compte. Mais la réalité des rapports de forces réduisait malheureusement l'Onu à une peau de chagrin et marginalisait dangereusement les autorités onusiennes. Le retour de la lucidité impliquait la restauration du pouvoir des Nations Unies, dans le cadre d'une affirmation de la conscience internationale et le respect du multilatéralisme. Fait d'évidence, la démission générale explique la poursuite, en toute impunité, des raids aériens massifs et désormais quotidiens contre les agglomérations irakiennes, en relation avec les méfaits du terrorisme d'Etat mis à l'œuvre par Israël.

 

20 septembre 2004 : Raids américains, ripostes de la résistance, le cycle infernal de la guerre d'Irak a institué l'insécurité générale et permis aux groupes terroristes de s'infiltrer dans un régime jadis laïc, qui a réussi à les mettre aux bancs de la société. Peut-être faudrait-il revenir au livres d'histoire - me permettrais-je en tant qu'historien, cet anachronisme ! - pour retrouver une situation analogue sinon équivalente dans les campagnes de pacification coloniale et les épopées de résistance ? “L'US Air pilonne Fallouja[7]”, écrivait, le correspondant du Figaro. Comment expliquer ces raids aériens exposant les populations civiles à un bombardement massif ? Il s'agirait, d'après la dépêche de l'A.F.P.,  d'une opération «autorisée» par le premier ministre irakien Iyad Allaoui. Est-ce que la recherche de terroristes peut justifier l'extension de la guerre à toute la population de Fallouja ?  Les raids américains ont fait 44 tués et 27 blessés, jeudi  15 septembre 2004, dans le secteur pilonné. Ils se poursuivirent sans relâche. Cette comptabilité macabre quotidienne, de l'aire du «Pax americana» montre qu'on doit se soucier, dans la cadre de la quête d'une «bonne gouvernance» (sic) du respect du droit à la vie, avant tout autre chose. Comment expliquer aux citoyens américains qu'on tuait,  en leur noms, systématiquement ou presque, puisqu'il  suffisait de se trouver accidentellement à proximité des cibles et qu'on ne se souciait même pas de la vie des soldats américains qui n'avaient rien à faire dans ses galères ? Telle était la loi de la guerre, pouvait-on me rétorquer. Mais pourquoi avait-on pris alors l'initiative d'engager une guerre contre les terroristes de la Kaïda, sur le champ irakien, où ils étaient exclus. Ce choix arbitraire de l'ennemi rappelait la stratégie du loup et de l'agneau de la fable, aggravant ses implications par leur extension - au delà de l'appareil du Baath - aux populations civiles dont on prolongeait arbitrairement le calvaire.

 

29 septembre 2004 :  Les deux italiennes, prises en otage, ont été libérées hier. Le gouvernement Berlusconi a dû négocier avec leurs ravisseurs. A-t-il payer une rançon ? L'entourage de Berlusconi, reconnaît qu'elles ont été libérées après de “longues et difficiles manœuvres en coulisses ... après une nuit qui (les) a conduit à un choix très difficile, entre deux éventualités”.  Tout le monde se réjouît de cette conclusion heureuse de ces énièmes «victimes collatérales» d'une guerre qu'elles désapprouvaient.  Il faudrait espérer que le gouvernement anglais fasse un geste pour libérer le peuple irakien, pris dans sa totalité, en otage de cette guerre  absurde. Ironie du sort, les mêmes dépêches de la libération des otages italiens annoncent la reprise des opérations américaines de pilonnage à Fallouja et à Sadr City; appelées pudiquement des «frappes de précision contre divers objectifs». Est-ce que les trouvailles linguistiques américaines sont susceptibles d'occulter la dimension tragique de ces faits guerriers?

 

30 septembre 2004 : Les observateurs arabes et internationaux attendent, ce soir, le duel Georges Bush/John Kerry, qui devait départager les candidats à la Maison Blanche et annoncer soit une poursuite de la guerre en Irak, soit un changement de cap. Par réalisme, nous devons atténuer ces attentes et re-évaluer la situation. Exprimant la volonté de puissance américaine, traduisant un nationalisme exacerbé et blessé par sa rude mise à l'épreuve par la tragédie du 11 septembre, le discours de la guerre du Président Bush et des néo-conservateurs nous parait, hélas, fort enraciné dans l'opinion américaine, d'ailleurs bien conditionnée par la pensée dominante, monopolisant les médias. Ainsi considérées, les chances d'un deuxième mandat ne constituent pas une hypothèse d'école. Et d'ailleurs, la perspective d'un changement du titulaire de la Maison Blanche n'implique guère une révision fondamentale de la politique américaine. Loin de là. Fortement engagés, les Américains peuvent difficilement prendre la décision d'un retrait qui remettrait en cause les intérêts pris en considération. Nous ne devons pas perdre de vue, en effet, que la politique américaine est l'expression de l'ensemble de l'Establishment. Occupant la première ligne, le Président exerce son leadership, en se référant aux visions et aux intérêts des porte-parole des groupes dominants, dans les différents domaines économiques, politiques et militaires. Il peut, certes, nuancer le discours politique, le doter d'une vision humaniste ou faire valoir, sans ménagement la volonté de puissance. Dans une certaine mesure, cela concerne le »style de gouvernement, le choix de discours. Mais l'essentiel est quasi immuable. On peut toujours espérer un changement d'opinion, comme ce fut le cas, lors de la guerre du Vietnam. Mais le processus sera lent. Un revirement d'opinion relatif à la guerre d'Irak ou au génocide des Palestiniens ne peut être envisagé que dans le moyen terme, sinon le long terme. Nous ne sous-estimons guère le rôle des élites éclairées, de l'intelligentsia d'avant-garde, qui concilient l'Amérique des valeurs au monde. Leurs discours sont souvent occultés et marginalisés par les massmedias qui dirigent l'opinion. Porté par le mouvement contestataire de l'aventure américaine en Irak, le Président Kerry peut engager une réflexion statutaire, modérer les élans du lobby néo-conservateur, engager le dialogue avec la communauté internationale. Mais il ne faut pas s'attendre à ce qu'il accomplisse l'impossible, pour atténuer la tragédie irakienne car cela exigerait la révision de la stratégie amércaine relative à la domination du «Great Middle East» et à la maîtrise des réserves du pétrole. Nous n'en sommes pas là, hélas.

 

La proposition du Secrétaire d'Etat américain Colin Powel, formulée durant le week end, de réunir une conférence sur l'Irak, au Caire ou à Amman, associant les pays voisins et les membres du G8 s'inscrit dans une volonté de sorties de crises, par une concertation diplomatique, le cahot régnant en Irak ne pouvant guère assurer les élections promises en janvier 2005. La réponse française, amendant la proposition, en changent son lieu (New York et non Le Caire ou Amman), en mettant à son ordre du jour, la question de l'évacuation des troupes américaines et en élargissant la participation irakienne à la résistance, peut lui assurer des chances de succès. Les négociations d'indépendance de la Tunisie, du Maroc et d'Algérie ont eu comme partenaires de l'Etat français les représentants de la résistance nationale. Le réalisme politique exige, en effet, la résolution des conflits par “une paix des braves». Mais cela impliquerait l'abandon des velléités hégémoniques qui mettent à rude épreuve la région et portent atteinte à l'image américaine et à son discours humaniste. Est-ce de l'utopie que de réclamer une approche de réalisme politique pour le salut de tous ? 

 

Khalifa Chater

El-Manar, 30 septembre 2004.  

 


 

[1] - Voir le discours du ministre de l'Intérieur irakien, le 20 juillet 2004.

[2] - Voir la prise de position, contre  ces dérives, par la population de Fallouja in al-Qods, 21 juillet 2004, p. 1.

[3] - Le Monde, 27 août 2004

[4] - Ridha Kéfi, Jeune-Afrique l'intelligent, 15-28 août 2004.

[5] -  Voir la déclaration du Conseil des oulémas musulmans. le 12 août 2004.

[6] - La Presse de Tunisie,  17 septembre 2004.

[7] - Depeche de l'AFP, in Le Figaro, Paris, 18-19 septembre 2004.