Chronique d'une guerre annoncée 

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Professeur Khalifa Chater

vice-Président de l'AEI, Tunis.

 

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14 Mars - 22 Mai 2003

Juin - Octobre 2003

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Juin - Octobre 2003

 

La gestion de l'après-guerre ne s'est pas révélée aisée...  Les observateurs se sont  rapidement rendus compte de l'hostilité de la  population aux troupes anglo-américaines.  La «libération» de l'Irak prolongea l’épreuve. La plupart de ses habitants devaient rester longtemps sans travail, sans moyens et parfois sans eau et sans électricité. Le paradis promis est cauchemardesque.

 

1er juin 2003 : Des manifestations revendiquent, dès le 19 mai, l'évacuation des troupes de l'occupation et la restauration de la souveraineté irakienne. Rejetant cette aspiration, les Etats-Unis ont annoncé le 31 mai que l'occupation militaire de l'Irak durerait plus que prévu.  Mais le déclenchement de la résistance populaire est de nature à perturber les triomphalistes. Elle frappe de discrédit toutes les velléités de collaboration.  Fut-elle débarrassée de Saddam Hussein, la population chïte majoritaire ne peut s'accommoder d'une aliénation de la souveraineté. Elle veut recevoir ses dividendes de la chute du Baath, sans se compromettre avec les nouveaux alliés  de la conjoncture.

 

17 juin 2003 : La résistance irakienne semble vouloir se définir. Les attaques contre l'armée américaine sont revendiquées par un groupe jusqu'alors inconnu : les Brigades de la résistance irakienne. Cette volonté de se démarquer de l'ancien régime est significative. Quelles sont ces obédiences, sa vision idéologique et son projet de société. Quelle est la nature de ses alliances avec le mouvement intégriste, qui se présentait jadis comme alternative au régime de Saddam ? Tout ce qu'on pouvait savoir, d'après leur communiqué est qu'il s'agit “d'un groupe de jeunes Irakiens et d'Arabes, qui croient en l'unité, en l'unité et en l'arabité" de l'Irak”.  Ce retour au discours panarabe révèle une distanciation par rapport aux vulgates intégristes. Comment évaluer sa représentativité sur la scène irakienne ? Dans le chaos actuel de l'après-guerre, des acteurs nombreux effectuent des opérations de démonstration pour s'imposer. Une analyse objective de la situation ne peut écarter une conjugaison d'intervenants :  chïtes, intégristes, baathistes, kurdes et autres, sans oublier l'opposition spontanée des laissés pour compte et tous les victimes de l'instabilité et de l'insécurité. 

 

23 juin 2003 :  Notre route commence à Bagdad. Le brûlot écrit par William Kristol et Lawrence F. Kaplan présente, analyse et défend le discours politique de la pensée néo-conservatrice américaine. “Qu'y-a-t-il de mal à dominer, lorsque c'est  au service de principes sains et de nobles idéaux ? ” se demandent les auteurs. Leur pensée réductrice rappelle d'autres théoriciens de la  suprématie, dont les disciples ont usé et abusé sur la scène politique. La justification de l'hégémonie, quelle terrible cause! Faut-il rappeler qu'elle transgresse l'idéologie des pères fondateurs des Etats-Unis, qu'elle annihile les grandes conquêtes de l'homme et quelle fait valoir l'inégalité des peuples. En application des postulats de cette pensée élémentaire, l'Amérique doit agir, sans état d'âme, faire usage de sa force militaire, instituer sa guerre préventive. La triste tragédie du 11 septembre a, hélas, accrédité cette dérive de la pensée, auprès d'une certaine opinion, qu'il ne faut guère surestimer. Le débat suscité par la guerre d'Irak atteste, rappelons-le  la lucidité de l'intelligentsia américaine. Présentant cette ouvrage, Alain Frachon remarque judicieusement que les deux auteurs défendent leurs opinions “sans que le doute, le souci des faits ou une esquisse d'autocritique viennent jamais gâcher la beauté (sic) de l'exposé” (Le Monde des livres du 22 juin). Dans sa préface du livre, François Heisbourg remarque que cette vision des choses aurait influencé le document stratégique américain de septembre 2002. Peut-être faudrait-il attendre le retour du pendule ! Les amis de l'Amérique souhaitent vivement qu'elle retrouve son visage libéral.

 

29 juin 2003 : Diagnostic lucide - fut-il  tardif ! -  du Secrétaire d'Etat,  Colin Powel, il déclara dans une  interview à la radio publique NPR : “Je dirais aux Américains que nous avons toujours reconnu que cela serait une opération dangereuse... Bien que les combats majeurs soient terminés ... nous nous sommes  toujours attendus à ce genre de problème résiduel de supporters de l'ancien régime irakien et d'autres cherchant à semer le trouble....” (la Presse de Tunisie, 29 juin 2003). L'emploi dans le discours du Secrétaire d'Etat américain du concept pudique de problème résiduel, s'inscrit dans une volonté  de ménager l'opinion, d'occulter la dimension tragique du fait historique, de tenter de dramatiser la réalité. Ce qui signifie, en d'autres termes, que la guerre n'est pas terminée, que l'armée américaine fait face à une résistance, qui s'organise, se développe et prend de l'ampleur.

 

L'après-guerre est subtilement appelée problème résiduel. La guerre enrichit curieusement le langage politique. Dans ce même ordre d'idées, rappelons que les stratèges américains ont employé le concept de victimes collatérales, au cours de la guerre yougoslave et l'ont institué dans les expéditions militaires de l'Afghanistan et de l'Irak. Ce qui leur permet de passer dans le compte des profits et pertes, la mort de populations civiles.

 

11 juillet  2003  : L'Observatoire du débat public s'est risqué à avancer une appréciation élogieuse de la couverture de la guerre d'Irak. Son Directeur affirmait récemment :

 

 “Alors que la crédibilité des médias en général, et celle de la télévision en particulier est en chute libre depuis quelques années, la guerre en Irak a vu l'amorce d'un problème de religitimation de l'instance médiatique” ( Le Monde, 11 juillet 2003).

 

Que faut-il en penser ? La première guerre contre l'Irak (1990-1991) a, certes, l'instance médiatique, en occultant, de fait, l'information, en dépit du suivi instantané des opérations. Eloignés des scènes de combats, les reporters ont dû se contenter de commenter en direct, un jeu d'ombres et de lumières, sur une scène épurée de toute trace humaine. Le pouvoir américain a pu ainsi dédramatiser la guerre, par une censure judicieuse des scènes où il y a mort d'hommes. Cette présentation dans le style d'un «jeu vidéo», présentant une «guerre des étoiles” lointaine, irréelle et construite par des  combats de faisceaux lumineux, dans un monde féerique, relève de la manipulation de l'information. Appelons les choses par leurs noms. Dupés, les organes de presse ont pris acte de leur couverture virtuelle et tronquée de la guerre de la coalition. Est- ce à dire que la situation a changé depuis lors ? 

 

L'instance médiatique a pu transgresser les tabous de la coalition et présenter la guerre, dans ses multiples dimensions : une guerre où l'on tue et mutile, pour imposer le rapport de forces sur le terrain, une guerre qui ne ménage pas les populations civiles, qui détruit le patrimoine historique, culturel et artistique, pour déligitimer l'ennemi. Quel décalage entre le discours et les faits ! Les téléspectateurs ont pu voir la tragédie humaine, vivre en direct la souffrance de l'homme. Exposés aux feux, les journalistes ont pu faire valoir leur éthique. Est-ce à dire que la couverture des opérations a permis de bien rendre compte de ce qui s'est passé réellement sur le terrain ? Le non-dit concerne aussi bien les acteurs sur le terrain, les alliances secrètes, les manœuvres qui ont eu lieu sur les arrières-scènes, côté cour et côté jardins. On parle de défections arrangées, achetées au plus fort. Tout cela fait partie du jeu guerrier, qui n'offusque que les innocents. Mais la couverture journalistique est partielle sinon partiale. Elle peut qu'indiquer des pistes ou présenter des hypothèses. En l'état actuel des choses, nous avons une vision globale, cohérente mais intérimaire. Une certaine distanciation historique permettra de mieux analyser les mécanismes, de reconstituer les processus, d'expliciter les acteurs de l'ombre.  Est-ce que les documents électroniques, qui prennent le relais des archives historiques, seront disponibles et fiables pour permettre aux historiens de demain, d'exhiber les enjeux, les jeux d'acteurs et les dessous des cartes des protagonistes de cette terrible guerre.

 

31 juillet 2003 : Amalgame explosive, le Conseil de gouvernement transitoire, formé par les autorités de l'alliance et qui comprend 25 personnalités politiques ainsi réparties : 13 chïtes, 5 sunnites, 5 Kurdes, une Turkmène et un chrétien. s'est réuni, hier, mais n'a pu dégager une majorité pour former un gouvernement. Malgré ses ultimes efforts et l'insistance des autorités de l'alliance, il ne put se mettre d'accord sur le choix de son Président, au cours d'une réunion orageuse de sept heures. Comment concilier, en effet,  ses différentes composantes ethno-religieuses? Faute de mieux, on choisit un conseil de neufs membres, pour assurer une présidence tournante mensuelle, par ordre alphabétique. Ce qui permit de désigner Ibrahim al-Jaafari, porte -parole du parti de la Daawa chïte, président, durant le mois d'août. Ce Conseil ingouvernable fera le jeu des autorités de l'alliance, qui pourront profiter de ces dissidences, pour différer la transmission du pouvoir à une autorité irakienne. Fait significatif et qui permet de redimensionner les «assises souveraines», du Conseil, la réunion eut lieu, en présence du Gouverneur civil américain, Paul Bremer, le «Résident général» des défunts régimes des protectorats.

 

5 août 2003 : Réuni au Caire, le Comité de Suivi de la Ligue des Etats arabes ont rejeté la demande américaine, d'envoi de troupes de troupes en Irak, refusant de joindre leurs forces aux forces d'occupation, anglo-américaines.  Traduisant ce refus de reconnaître le Conseil de gouvernement transitoire,  Amr Moussa, le Secrétaire Général, affirma que la Ligue est disposé de discuter avec toutes “les forces politiques irakiennes, sans exclusive” et donc sans préférence. Les Etats arabes souhaitent aider l'Irak à dépasser la crise, par l'affirmation de son pouvoir souverain. Est-ce qu'on parler d'un retour des Etats arabes sur la scène politique ? Il s'agit, en tout cas d'une prise de distance par rapport à la politique américaine dans la région. Ce qui explique la critique de Collin Powel de cette prise de position et sa proposition de réformer la Ligue des Etats Arabes. Créée, sous l'hégémonie anglaise du Moyen-Orient, devait-elle s'adapter au nouvel ordre américain ? Pour les citoyens arabes d'hier et d'aujourd'hui, la Ligue est, au contraire, en dépit de ses faiblesses qui traduisent l'équilibre des forces qu'elle représente, l'expression d'une volonté arabe de libération, d'indépendance et d'action solidaire. Des analyses optimistes et peut-être hâtives évoquent l'annonce d'une renaissance arabe. Le diagnostic parait prématuré.

 

Rappelons que l'étude des relations internationales actuelles nécessite l'identification et l'évaluation de la chaîne de dépendances, les mutations des rapports entre le dépendant et son pourvoyeur, selon l'approche d'Albert Memmi (La Dépendance, Paris, Gallimard, 2001), que nous adaptons à l'analyse des faits d'actualité. Les mutations géopolitiques induites par la guerre d'Irak, ouvrent un nouveau chapitre de ruptures et d'édification de dépendances, à l'échelle du Moyen-Orient et du Monde. Nouvelle donne, une nouvelle carte des alliances se dessine, intégrant de nombreux pays de l'Est, par le biais de la participation à la «pacification», en Irak ? Outre les Hollandais (3200), Espagnols (1321) et les Italiens (1130), la force d'intervention comptera des soldats des pays de l'Est (Polonais : 2500,  Ukrainiens : 1644, Bulgares, Hongrois, Roumains etc.), d'Amérique latine (Salvadore, Honduras, République Dominicaine, Nicaragua) et d'Asie du Sud-Est  (Thaïlande et Philippines). Ce qui permet de remplacer les Marines américaines. Nous remarquons, dans ce nouveau partage de rôles, que la Pologne s'affirme, comme alliée important du pouvoir monopolaire et conquiert, ainsi, un statut promotionnel. Par contre, un dialogue de sourds semble se poursuivre, entre les Etats-Unis et les pays qui ont pris position contre la guerre d'Irak ou soutenu, du bout des lèves leur initiative. L'ère des tempêtes a suscité des tensions entre les alliés d'antan.

 

La pause stratégique actuelle s'explique par l'évaluation américaine de l'ampleur de la résistance irakienne, sa recherche d'alternative onusienne, pour éviter la «vietnamisation» annoncée. Les Arabes, après la tempête,  cherchent à reconstruire le compromis et à occulter leurs attitudes différentielles au cours de l'épreuve. Les Etats-nations ne peuvent différer longtemps l'affirmation de leurs principes fondateurs. A l'écoute de leurs opinions publiques, les Etats arabes ont redéfini une politique de consensus, que le Comité de Suivi a pris en ligne de compte. Il ne pouvait en être autrement.

 

Fait significatif, le gouvernement iranien  effectue un rapprochement avec le Conseil de gouvernement transitoire irakien. Une délégation iranienne fut reçu par le Président en exercice du Conseil de gouvernement transitoire et discuta avec Abdel-Aziz Hakim, membre de ce comité et vice-Président du Haut Conseil de la Révolution Islamique, “la situation en Irak et l'avenir des relations bilatérales”. L'Iran ménage l'avenir et se soucie de constituer un pôle chiïste salafite dans la région. Est-ce que les alliances fondatrices du régime iranien et de la relève gouvernementale chïste sont compatibles avec la gestion américaine effective de l'Irak ? Soucieux de montrer que le Conseil de gouvernement transitoire dispose d'une large marge de liberté, Paul Bremer semble laisser faire, tolérer cette visite, par tactique, pour accréditer la thèse de la reconnaissance des autorités qu'il a investies. Dans l'état des choses, ces manœuvres sont sans lendemain.

 

6 août 2003 : La Réforme, al-Islah, est à l'ordre du jour. «L'ouverture» est amorcée, en Arabie saoudite, par la fondation du Centre du Dialogue Nationale. La décision fut annoncée solennellement, au cours d'une réunion du Conseil de Ministres, présidé par le roi Fahd, le 4 août. Le CDN devait permettre “l'expression responsable et dans un contexte sain ... des opinions éclairées des oulémas et des intellectuels du royaume, dans le cadre du respect de la foi musulmane et de l'intégrité de la patrie”. La balle est donc dans le camp des penseurs-oulémas saoudiens. Seraient-ils en mesure de se débarrasser de la pesanteur des traditions passéistes bien ancrées, de reformuler leurs discours, faisant valoir la nécessité de légitimer l'adoption d'une politique de progrès, à l'instar de l'idealtype des Lumières de l'Egypte de Mohammed Ali et de la Tunisie contemporaine ? Est-ce que l'Establishment religieux saoudien est en mesure d'opter pour l'approche audacieuse  des réformateurs du XIXe siècle, qui ont fait valoir la nécessité de tenir compte des temps présents et  des défis de l'environnement géopolitique ?

 

“Un pas, en avant, deux pas en arrière”, l'Irak moderniste d'antan, retrouve ses censeurs d'antan. Les tribunaux civils sont, de fait, remplacés par la justice charaïque, prompte à rétablir la loi du talion, à justifier les exécutions arbitraires, pour «mauvaises mœurs» (Asharq al-Awsat, 5-8-2003, p. 5)  Ce retour à l'obscurantisme, illustré par l'assassinat, sans autres formes de procès, de parentes suspectes ou tout simplement émancipés, ne peut se justifier par aucun texte de loi, aucune prescription religieuse. Est-ce que la démocratisation à l'américaine de l'Irak peut tolérer ce retour aux ténèbres ?

 

7 août 2003 :  L'attentat contre l'ambassade de Jordanie, aujourd'hui annonce une escalade dangereuse. Rien ne semble le justifier. Quels sont ces enjeux et ses objectifs ?  Quels sont les mobiles de ses auteurs et d'abord qui sont ses auteurs ? La confusion est totale. Une résistance crédible doit formuler ses programmes, définir sa stratégie et présenter ses revendications. A qui sert le chaos, sinon aux ennemis du peuple irakien, qui veulent prolonger son épreuve.

 

14 août 2003 :  Les médias annoncent la fondation de  l'association «Families speak out» (Les familles prennent la parole), engagée à lutter pour le rapatriement des soldats américains de l'Irak. Groupant plus de 600 familles américaines, l'association estime  que la guerre contre l'Irak n'est pas justifiée et remettent en question l'argumentaire du lobby de la guerre, faisant valoir que l'Irak ne constituait pas une menace à la sécurité américaine, qu'il ne possédait pas d'armes de destruction massives et qu'il n'avait pas de lien avec la Kaïda. L'association vient d'engager une campagne d'information, protestant contre les conditions de vie des GI's, exerçant une pression sur le congrès et la présidence, pour obtenir le rapatriement du contingent. Ce pacifisme américain, fut-il intéressé puisqu'il est le fait des parents des soldats, placés sur les fronts, est à l'honneur de ces militants qui ont osé affirmer leur attachement à la culture de la paix et ont dénoncé les discours de la pensée  dominante. Ils ont montré leur attachement à la gouvernance démocratique, qui implique la réflexion libre et audacieuse et la recherche lucide d'alternative, aux mouvements d'humeur. Nous retrouvons, dans cette prise de conscience, une affirmation de la valeur citoyenne, dans la pensée fondatrice des institutions américaines. Saluons ce geste qui renforce l'approche des académiciens, intellectuels et artistes américains qui ont rejeté, par leur engagement solennel, les vues réductrices de la pensée primaire du choc des civilisations.

 

19 août 2003 :  Le Conseil de gouvernement transitoire irakien semble faire du “surplace”. Détenant son autorité du pouvoir d'occupation qui l'a désigné, il n'a aucun titre pour faire valoir sa légitimité, ou du moins, sa représentativité. Dépourvu de pouvoir réel, il est condamné à faire de la figuration auprès du gouverneur Bremer. Il apparaît sur la scène officielle alors que les mécanismes du pouvoir agissent dans les coulisses. Il n'est pas encore parvenu à obtenir la reconnaissance de la Ligue des Etats arabes, en dépit des positions diplomatiques de certains pays. Dans l'état actuel des choses, il constitue un “compromis” réaliste, susceptible de combler le vide politique et d'atténuer l'espace d'anarchie. Sa manière d'être, son comportement politique et, dans la mesure du possible, son “indépendance”, peuvent lui assurer une certaine crédibilité. Nous n'en sommes pas encore la ! Mais il serait utopique de rejeter catégoriquement ce pouvoir alternatif naissant.

 

Un article fort intéressant du journaliste égyptien Wahid Réjeb intitulé "la responsabilité du Conseil de gouvernement transitoire" (Al-Ahram, 18 août 2003), demande au Conseil de réaliser deux objectifs concomitants :  élargir ses prérogatives, par rapport aux autorités de la coalition et soutenir les Nations Unies, en développant, au plus haut niveau possible, la coopération avec son Représentant, en Irak. L'Onu, ultime alternative, pour restaurer la souveraineté irakienne, cette solution réaliste est bien plus pertinente que les théories utopiques, qui ne tiennent pas compte des rapports de forces sur le terrain !

 

23 août 2003 : L'attentat à la voiture piégée, le 19 août, contre  les bureaux de l'Onu, à Bagdad s'inscrit, sans doute, dans cette “spirale de violences”, qu'on ne s'explique ni ne justifie. Mort de Viera de Mollo, Haut Représentant des Nations Unies et de vingt quatre fonctionnaires internationaux, une centaines de blessés, l'attentat indique l'ampleur de la dérive. Les observateurs avertis ont signalé les efforts de Sergio Viera de Mollo pour dépasser sa mission humanitaire et exercer les prérogatives génériques de son organisation. Dès son installation à Bagdad, le 2 juin 2003, le fonctionnaire onusien a réussi à intervenir dans la reconstruction politique de l'Irak, participant activement à la formation du Conseil de gouvernement transitoire, exerçant un droit de regard sur la gestion financière des opérations. Ce qui explique ses rapports tendus avec Paul Bremer. Une interview de son collaborateur Ghassane Salamé par le journal français Le Nouvel Observateur, critiquant l'éloignement des cadres du Baath et exprimant ses inquiétudes, relatives à la privatisation du secteur public, a provoqué un certain froid entre les deux hommes (al-Quods, 21 août). Mais ces incidents de parcours n'ont guère empêché le développement d'une coopération active entre les deux hommes.

 

 On tire sur tout ce qui bouge ou presque. Qui a intérêt à faire sauter les fusibles ? Est-on arrivé, dans l'assassinat politique à “l'acte gratuit de Sartre” ? . Comment expliquer cette agression contre la structure incarnant la légitimité internationale contre l'unilatéralisme ? Peut-on admettre la thèse de Bernard Kouchener,  qui estime que “la succession des crimes porte la marque de fabrique des intolérants pathologiques” (Le Monde, 23 août) ?  L'analyste politique ne doit pas occulter la complexité du jeu politique, les stratégies avouées et les tactiques occultes, y compris la politique du pire et les réactions de désespoir et du ressentiment. A qui profite donc cette agression contre le temple de la culture de la paix ?  Comment assainir le climat politique, moraliser le comportement de tous les acteurs ? Dans ce monde des apparences, où l'option sécuritaire tient lieu de politique, où l'information/déformation mondialisée précipite la déconscientisation des citoyens du monde, tout devient possible, y compris les actes les plus insensés et le retour de la barbarie. Nous devons prendre la mesure ou plutôt la démesure de la dérive de la politique internationale, de ses retombées tragiques et des réactions qui l'accompagnent.

 

24 août 2003 :  “A ceux qui ont besoin de pain, on offre des mille feuilles”. Les journaux viennent d'annoncer hier une grande réalisation de l'armée américaine: l'ouverture à Tikrit d'un café internet, offrant aux habitants un accès libre au Web. Selon la même logique  ou presque, mais dans un contexte moins tragique, une autre puissance avait offert, au cours de la guerre froide, à un pays d'Afrique tropicale des chasse-neige. Alors qu'ils soufraient d'une pénurie grave des services de première nécessité tels que l'eau courante et l'électricité, les Irakiens sont conviés à faire usage de la technologie performante de l'information. Les autorités d'occupation doivent, peut-être, revoir leurs échelles des priorités, éviter de calquer leurs visions américano-centristes et d'identifier ainsi les urgences des populations désormais démunies, affectées par le sort de leur pays, qui traverse une mauvaise passe, marquée par l'instabilité, l'insécurité, et l'anarchie. 

 

26 août 2003 : Syndromes de la «vietnamisation»,  le cours des événements montre que les  Etats-Unis se trouvent confrontés, à une dure mise en épreuve, en Irak. Par sa déviation vers l'Irak, “la campagne internationale contre le terrorisme” intégriste a provoqué l'émergence d'un nouveau foyer de tensions, de turbulences et d'affrontements. Résistance, «sécurisation», dissidence, tribalisme, sans oublier les faits de criminalité de plus ou moins grande envergure qui profilent de ce terreau explosif se conjuguent et instaurent une ère de troubles. D'autres acteurs politiques, tels que la Kaïda et ses différentes filiales intégristes peuvent - si ce n'est déjà fait - saisir cette opportunité et faire des coups d'éclats sur la scène irakienne, aggravant dangereusement les conditions de vie des populations, prises en otage de ces cycles de violence. Erigées en cibles, les troupes d'occupation ne savent pas ce qu'elles sont venues faire dans ces galères. Confrontées aux dangers, elles sont en porte-à-faux, sur cette scène kafkaïenne où l'on leur demande de restaurer la souveraineté d'un pays, en l'occupant et en lui dictant ses lois. Ces “arroseurs arrosés”, vivent tragiquement la plaisanterie chaplinesque. Ne serait-il pas salutaire pour tout le monde - et d'abord pour eux - de penser à leur évacuation ?

 

“L'unilatéralisme”, cette face cachée de la mondialisation, fonde le contentieux entre l'Establishment monopolaire et ses différents partenaires et/ou protagonistes. La reconnaissance de sa puissance de frappe dans le court terme - telle sa démonstration spectaculaire lors de la guerre d'Irak - ne peut occulter ses limites dans le moyen et le long terme. Sur le champ irakien, la coalition a découvert son «talon d'Achille». Elle peut difficilement maîtriser les mouvements populaires et imposer sa propre lecture du “droit des peuples de disposer d'eux-mêmes”. Son épreuve en Irak montre que la spécificité géopolitique est têtue. L'acteur politique, intervenant à l'extérieur - au nom d'un pseudo droit d'ingérence, fut-il humanitaire et de première nécessité -  doit être à l'écoute du terrain, identifier sa vision, comprendre ses exigences, connaître ses mobiles, ses volontés et pour quoi pas ses caprices. Telle est, d'ailleurs la définition de la démocratie, dans son esprit et dans sa lettre.

 

L'analyse de la situation par l'International Crisis Group (ICG), publiée hier à Bruxelles est très pertinente. Elle fait valoir la nécessité de dépasser la phase de gestion de l'Irak, par la coalition anglo-américaine. “Tant que (les Etats-Unis) ne donnent pas aux Irakiens et à la communauté internationale un plus grand sentiment de partenariat dans la transition, la situation va empirer”, déclara Robert Malley, le directeur de l'ICG. Instabilité, insécurité, opposition générale à l'occupation, même au sein du  Conseil de gouvernement transitoire, un changement de politique est désormais absolument nécessaire. L'implication de pays alliés pour envoyer des troupes et remplacer éventuellement les Marines ne change point les données du problème. La participation internationale implique l'égalité de statuts entre tous les partenaires, sous la direction collective des Nationans-Unies. L'œuvre de la reconstruction et de la restauration de la souveraineté nationale, doit être assurée par une prise en charge généreuse de la communauté internationale. Cette impasse requiert, après cette pause de réflexion, une solution politique radicale. C'est à ce prix que les problèmes sécuritaires seront atténués et progressivement résolus, impliquant désormais les différents acteurs irakiens, dans des combats électoraux publics et de libre choix par les assises populaires et les corps représentatifs dûment élus. Une telle alternative politique, faisant échec aux guerres de miliciens, permettra au peuple irakien de reprendre l'initiative et de faire valoir ses choix, sous le contrôle d'une force multinationale bienveillante et neutre. La paix en Irak est à ce prix. 

 

30 août 2003 :  “Carnage à Nedjef”, un attentat à la voiture piégée a eu lieu, hier, à la sortie de la prière de vendredi. La personnalité-cible, l'ayatollah Mohamed Baker al-Hakim, pionnier de la résistance au Baath, un important dirigeant historique de l'obédience religieuse chïte, le nombre des victimes (126 morts et des centaines de blessés) et l'identité du lieu de l'attentat (devant le mausolée d'Ali, référence du mouvement chïte et quatrième calife du prophète), permettent de prendre la mesure de la portée de l'événement. Fait troublant, l'événement n'a jusqu'ici été revendiqué par aucun mouvement. Il fut même solennellement condamné par l'organisation de la résistance qui semble s'affirmer, durant l'ère post-Saddam. Durant son duel avec le Baath, Mohamed Baker al-Hakim était souvent présenté comme le Khoumeyni de l'Irak. L'image doit être cependant corrigé. En dépit de son cursus prestigieux de alim-résistant au Baath, le président-fondateur du Conseil Suprême de la Révolution islamique n'a jamais réussi à rassembler le peuple unanime autour de sa personne, même pas au sein de la mouvance chïte. Son alignement sur l'Iran, au cours de la première guerre du Golfe, n'était pas de nature à plaire au puissant mouvement national irakien. Son ménagement des autorités américano-anglaises et sa collaboration avec le Conseil de gouvernement transitoire, où son mouvement fut représenté par son frère, ne pouvaient que susciter l'hostilité de la résistance nationale. La collaboration de ce religieux avec l'Establishment faisait valoir son réalisme politique, son attachement à l'éthique de responsabilité. Elles le définissent comme acteur politique, sur la scène mouvementée, au cours de la tempête. Descendant de son piédestal, agissant désormais comme partenaire politique, il en subit les contrecoups d'une vie politique marquée par la montée des extrêmes. Sa disparition, signe d'une montée des périls, ne pouvait que provoquer l'escalade. Elle annonce le pire, à moins que les hommes politiques en Irak, aux Etats-Unis et dans le monde ne se ressaisissent, arrêtant la dérive, restaurant la souveraineté du pays et redonnant le pouvoir à ses habitants, afin de reconstruire le consensus national. L'analyse des faits montre que l'Irak est au bord du précipice. La formule politique appliquée jusqu'ici par la coalition : “des ethnies en Irak, mais point d'Etat -Nation” doit être d'urgence abandonnée, car elle ne correspond ni aux données de l'histoire, ni de la géopolitique.

 

3 octobre 2003 : L'intervention de Kofi Annan, Secrétaire Général de l'ONU,  annonçant, hier, au Conseil de Sécurité, son opposition au projet de résolution américain a surpris la communauté internationale. Cette prise de distance a, peut-être, pour objectif de restaurer le crédit de l'institution internationale, souvent critiquée pour son alignement sur les Etats-Unis. Peut-être tient-elle compte de l'évolution de l'opinion américaine, à la veille des élections ? Une appréciation réaliste de l'initiative de Kofi Annan mettrait en valeur les difficultés d'exécution de la proposition américaine, dans la situation ambiguë qu'elle établit. Les recommandations du Secrétaire Général font valoir que l'ONU ne peut jouer efficacement son rôle, durant la période transitoire, si elle n'a pas la charge du processus politique. 

 

En attendant, le Conseil de gouvernement intérimaire tente de présenter une vue optimiste de la situation. Participant au débat général de l'Assemblée annuelle de l'ONU, jeudi 2 décembre, son représentant Ahmed Chalabi, occulta au cours de son discours, les problèmes de restauration de la souveraineté irakienne et de sa reconstruction. Ses références à un Irak stable, et pluraliste relèvent du vœux pieux. L'évocation de l'établissement d'un régime “en harmonie avec son identité religieuse” annonce la triste fin de l'ère laïque et l'institution du pouvoir des mouvances  religieuses. Ne faut-il pas s'inquiéter de cette situation qui peut soumettre le pays aux guerres de sectes, ouvrant ainsi la boite de Pandore ?

 

8 octobre 2003 :  “La situation s'améliore quotidiennement”, en Irak, déclara le Président Bush lundi 6 octobre. Mais sa décision de réorganiser  la gestion de l'après-guerre, annoncée durant ce même discours, atténue cette optimisme. Désormais centralisé directement par la Maison Blanche, le dossier irakien relèvera d'une nouvelle entité, «le groupe de stabilisation de l'Irak», dirigé par Condoleezza Rice, conseillère à la sécurité nationale. Est-ce à dire que le Président américain compte réduire les prérogatives du ministère de la Défense et réaliser un compromis présidentiel entre les vues de Donald Rumsfeld et de Colin Powel, qui s'est démarqué par ses attitudes relativement plus modérées et plus attentives aux réactions de la communauté internationale ? Le cours des événements permettra de mieux cerner les objectifs véritables de l'initiative présidentielle ?

 

A la veille des élections américaines, la politique du Président Bush en Irak est l'objet de débats, de controverses. 53 % des Américains pensent que l'Irak  ne valait pas une guerre. 59 % de personnes interrogées ne croient pas que le Président américain ait un plan précis pour la reconstruction de l'Irak.. Ce sondage publié jeudi 2 octobre par le New York Times et la chaîne CBS montre une évolution de l'état de l'opinion. N'ayant pas trouvé d'armes de destruction massives en Irak, le pouvoir américain est soumis à une vive critique de son opinion publique. La victoire de l'acteur Arnold Schwarzenegger, mardi 7 octobre, en Californie,  traduit peut-être, " le rêve et la dérision des Américains".  Les enquêtes d'opinion annoncent un repositionnement des électeurs sinon une volonté de changement, un new Deal ? Il serait prématuré d'expliciter ou d'analyser les enjeux des prochaines élections présidentielles ?

 

9 octobre 2003 : Le gouvernement américain a demandé à la Turquie de dépêcher des troupes. Mais le Conseil de gouvernement transitoire est hostile à cette proposition. Les positions de la Turquie - le contentieux historique aggravée par l'alliance avec Israël  et surtout son hostilité au mouvement kurde - n'étaient pas de nature à calmer les appréhensions. Autre aspect de la question, l'implication de la Turquie dans ce processus d'occupation constitue un précédent fâcheux. Appelées à constituer un écran - paravent aux troupes de la coalition, les soldats turcs peuvent devenir des cibles du mouvement de la résistance populaire. L'intervention turque aurait été plus opportune si elle avait privilégié un traitement politique de la question, qui  permettrait aux Américains de se dégager de cette scène périlleuse et de sortir, dans les meilleurs délais, de l'impasse.  

 

10 octobre 2003 : Au cours de sa prêche, lors de la prière de vendredi, l'imam moktada as-Sadre a annoncé la création d'un gouvernement parallèle. Confirmant son opposition à l'occupation américaine et au Conseil de gouvernement transitoire, cette initiative porte un coup très dur à la légitimité des instances installées par les autorités de l'alliance. Elle remet à l'ordre du jour le contentieux  relative à ces autorités transitoires. Fut-il un gouvernement de l'ombre, la structure nouvelle atteste que la contestation est exprimée par la communauté majoritaire chïte, qui semblait, jusqu'alors constituer l'allié objectif de l'Establishment. 

 

16 octobre 2003 : Les héros sont fatigués. Le Conseil de Sécurité vient d'adopter, à l'unanimité, la résolution américaine, relative à l'Irak.  Le Conseil de Sécurité “considère que le Conseil de gouvernement et ses ministres sont les principaux organes de l'administration provisoire irakienne” et qu'il “incarne la souveraineté de l'Etat irakien durant la période intérimaire, jusqu'à ce qu'un gouvernement représentatif internationnalement reconnu soit mis en place”. Concession à la communauté internationale, le texte demande au Conseil de gouvernement, dont il occulte opportunément le caractère provisoire, de “lui communiquer, au plus tard le 15 décembre 2003, en coopération avec l'autorité (d'occupation) et si les circonstances le permettent le Représentant du Secrétaire général, un calendrier et un programme aux fins de la rédaction d'une nouvelle constitution pour l'Irak et la tenue d'élections”. Le communiqué expliquant le vote de l'Allemagne, de la France et de la Russie note l'insuffisance des amendements du texte original et affirme que ces trois pays l'ont approuvé, dans la mesure où il va dans la bonne direction menant au rétablissement de l'Irak, avec la participation de l'ONU. Nous estimons, quant à nous, que les Etats-Unis ont gagné cette guerre d'usure, faisant valoir leur position prédominante sur la scène internationale. Mais ils doivent tirer profit de ce compromis pour infléchir leur politique et être plus à l'écoute de la population irakienne.

 

24 octobre 2003 : La réunion de Madrid, organisée le 23 et 24 octobre pour  faire participer la communauté internationale à la reconstruction de l'Irak,  a réuni une soixantaine de pays et une vingtaine d'organisations internationales. Mais les résultats de la collecte des fonds se révèlent faibles, à l'exception du Japon. Les autres alliés inconditionnels: l'Espagne, Corée du Sud et Italie ont présenté des offres moins généreuses. Certains Etats se montrent peu enthousiastes. Dans cette comptabilité subtile entre  les investissements à fournir et les dividendes à obtenir de l'exploitation de l'Irak post-Saddam, qui entre en ligne de compte dans la prise de décision, le jeu politique n'est pas explicité. Mais la fracture diplomatique est bien réelle.

 

27 octobre 2003 : Quelle triste journée : 5 attentats-suicides à Bagdad, 42 morts, 216 blessés. Les cibles sont le siège du CICR, la Croix Rouge international et des commissariats de police. Le terrorisme aveugle a pris le relais de la résistance à l'occupation. Il faudrait prendre la mesure de cette grave escalade. Une grave erreur de diagnostic, confondant le terrorisme intégriste et le régime saddamien a mis le feu aux poudres. L'amalgame destinée à justifier la destitution d'un ennemi  a provoqué des effets contraires. L'Irak devint désormais le champ d'action de protagonistes difficiles à définir. Les opérations kamikazes attestent cependant l'adoption de la stratégie du terrorisme islamique, qui semble saisir cette opportunité pour s'introduire dans des champs qui lui étaient jusqu'alors interdits.  Il a trouvé son allié objectif. Dans ce duel existentiel que se livre au sein du monde arabe, les projets volontaristes modernistes et les options passéistes rétrogrades, la guerre d'Irak sert ce qu'elle se proposait de desservir, à moins que ce ne soit un simple alibi, un discours de conjoncture. Autre aspect de la question, la vietnamisation de l'Irak  ne relève plus des éventualités, des hypothèses de travail. Les attaques d'aujourd'hui attestent qu'elle s'inscrit dans notre quotidien. La guerre prend désormais un nouveau tournant. Toutes les perspectives confortent les analyses pessimistes. Mais Huntincton a réussi à construire et faire valoir son paradigme du «choc des civilisations».  Hélas !

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Que peut-on dire, en conclusion de cette chronique, relative à ce trimestre d'épreuves ? Précisant le discours américain, la Conseillère du président Bush, pour les affaires de sécurité nationale, Condoleezza Rice, évoquait, le 7 août dernier, dans le quotidien américain “The Washington Post”, l'émergence, grâce à l'intervention américaine, d'un nouveau Moyen Orient féérique, qui mettait fin à “l'instabilité régionale” où  les Etats-Unis coopéreront avec d'autres pays, en vue d'aider les Irakiens à “jouir d'une plus grande sécurité, alors que le passage à la liberté se poursuit”. Est-ce que les dernières tragédies qui ont sonné le glas de ce rêve américain, peuvent annoncer un retour de la conscience, pour fermer la boite de Pandore qu'ils ont pris hâtivement le risque d'ouvrir ? Dans ce monde terrorisé par la montée des extrémismes religieux et/ou idéologiques et les théories de puissance et les réactions de ressentiment, il faudrait d'urgence redonner à la politique droit de cité, pour explorer les voies de la lucidité, retrouver l'esprit de coexistence, refonder la culture de la paix que cette nouvelle décennie du XXIe siècle a dangereusement compromis. L'appel timide des Etats-Unis à une plus grande prise en charge des affaires du monde par l'organisation des Nations Unies est, peut être, le signe annonciateur d'une renouvelle donne! Le pourrissement d'une situation peut précipiter sa maturation. Cette vérité annoncée par un grand poète arabe du Moyen âge doit être sérieusement méditée. Peut-elle justifier un diagnostic optimisme, à l'heure de la montée des périls ?

Khalifa Chater

(31 octobre 2003)

 

Etudes Internationales, n°89, 4/2003.

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