Chronique d'une guerre annoncée 

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Professeur Khalifa Chater

vice-Président de l'AEI, Tunis.

 

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14 Mars - 22 Mai 2003

Juin - Octobre 2003

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Novembre - Décembre 2003

 

L'escalade se poursuit en Irak. Depuis les tragiques attaques du  27 octobre contre le siège du CICR et des commissariats, la bataille fait rage. Triste fin du mois d'octobre, qui correspond au début de Ramadan, le mois  de l'année hégirienne de la générosité, de la sagesse et de la concorde. Comment restaurer la paix et la souveraineté dans cette terre qui a vu fleurir les premières grandes civilisations ? Un jeu de puissance a livré ses habitants à de dures épreuves, affectant leur vécu, aliénant leurs liberté. Est-ce que le combat démocratique implique nécessairement une phase de dépendance initiatique ? Peut-on accréditer ce diagnostic sévère d'une guerre pseudo civilisationnelle ? Ne faut-il pas aussi se pencher sur la triste condition de ces jeunes soldats américains, entraînés dans cette galère ! Une guerre qui ne les concerne pas ! Une évacuation des troupes étrangères permettrait d'épargner tous les acteurs-victimes d'une guerre qu'on ne veut plus nommer ! Cette solution finira de s'imposer à l'instar des guerres du Vietnam, d'Afrique du Nord et d'Afrique du Sud etc. Pourquoi perdre un temps précieux, qui allonge inutilement les listes des victimes irakiennes et américaines. Peut-on espérer un retour de la conscience ? 

 

2 novembre 2003 : Un hélicoptère américain, transportant des troupes à l'aéroport de Bagdad a été abattu aujourd'hui, à Abou-Aïssa,  par "une arme non identifiée". Il s'agit vraisemblablement d'un missile sol-air, tels que le laisse supposer la déclaration du Secrétaire d'Etat à la Défense Donald Rumsfeld, commentant l'opération. L'attaque a provoqué la mort 5 militaires américains et blessé 21. Durant la même journée, une bombe a explosé au passage d'un convoi de véhicules américains à Fallouja. D'autre part, une grenade a été lancée en direction de soldats américains, à Abou Gharib, un faubourg de Bagdad. Ces opérations confirment l'existence d'une résistance bien structurée, puissamment armée qui organise et coordonne la lutte contre l'occupation. Peut-être faudrait-il se hasarder à identifier l'action de deux mouvances différentes, par leur stratégies et par leurs objectifs: Une réaction  de désespoir, optant pour des opérations kamikazes, qui rappellent les actions des mouvements intégristes sur la scène moyen-orientale et une résistance nationale, appuyée par l'armée et le parti Baath, ou ce qui en reste. Pour le moment, le triangle sunnite semble plus impliqué dans la bataille. Grande inconnue, le chïsme qui représente une grande force populaire, opte pour une stratégie d'attentisme. Il semble surveiller patiemment la scène et attendre son heure. Sa coopération au sein du Conseil intérimaire de gouvernement  semble s'expliquer par sa volonté de faire valoir ses droits, d'exercer ses prérogatives et de compter dans le processus d'équilibrage des forces politiques de l'ère après - Saddam.

 

3 novembre 2003 : La réunion des cinq pays voisins de l'Irak (Syrie, Turquie, Iran, Jordanie, Arabie Saoudite et Koweït), en présence de l'Egypte, lundi 2 novembre, a adopté une déclaration de consensus, tentant de rapprocher des positions difficilement conciliables. Habileté diplomatique, la motion finale qui semble occulter la présence des troupes de la coalition, rappelle sa solidarité avec le peuple irakien, exprime son attachement à son indépendance et à son unité et affirme sa volonté de coopération avec le Conseil intérimaire de gouvernement, invité vainement à rejoindre ces assises. La demande relative à une plus grande implication des Nations Unies pour prendre le relais des autorités anglo-américaines exprime la volonté populaire arabe. Est-ce que cette entrée timide des pays arabes sur la scène, permet de compenser l'absence effective de la Ligue des Etats arabes, faute d'un consensus et d'une volonté commune ?  Le refus du Conseil intérimaire de gouvernement d'assister à cette réunion formelle de concertation révèle, peut-être, sa faible marge de manœuvre.

 

5 novembre 2003 : Fait important, un sondage de l'opinion publique, en Europe prend le contre-pied des thèses de la coalition, en rejetant ses définitions de la géopolitique de la menace. Commandé par l'U. E., réalisé durant le mois d'octobre et publié lundi  3 novembre, ce sondage d'opinion, utilisant un échantillon de 7.500 personnes, interrogées par téléphone, fait valoir une révision des points de vue, à la lumière des faits d'actualité. 59 % de la population européenne placent Israël à la tête des 14 pays qui menacent le monde. L'Iran, la Corée du Nord et les USA sont ex aequo, en deuxième positions. Pour le public européen, «l'axe du mal» est recentré. En dépit de son importance relative, à l'instar des différentes enquêtes d'opinion, il exprime des inquiétudes et fait valoir des remises en question. Est-ce que ce ressaisissement, fut-il conjoncturel, de l'opinion publique peut avoir des conséquences sur la prise de décision et annoncer une révision de la politique internationale, pour mettre fin aux tragédies palestinienne et irakienne ? Il faut œuvrer pour épargner les vies humaines, sans exclusive.

 

7 novembre 2003 : Est-ce que le Président Bush esquisse un changement de sa politique au Moyen-Orient ? S'agit-il, tout simplement de tirer les dividendes de cette guerre et de remodeler le Moyen-Orient, en conséquences ? Le discours du Président Bush  du 6 novembre a l'allure d'un manifeste politique, en faveur de la démocratie et de la liberté, présentées comme enjeu obsessionnel (56 emplois du concept liberté et 45 du concept démocratie).

 

“La liberté vaut la peine qu'on se batte pour elle, que l'on meurt pour elle et qu'on la défende, et sa progression aboutit à la paix”.

 

 Postulat de cette pensée, “l'établissement d'un Irak libre au cœur du Moyen-Orient constituera une étape décisive de la révolution démocratique mondiale”. Peut-être faudrait-il nuancer cet énoncé et faire valoir les conditions Sine Qua None non satisfaites, à savoir le respect de l'autodétermination de son peuple, la restauration de sa souveraineté. L'épreuve de l'Irak n'est pas en mesure de le présenter comme modèle, ayant un pouvoir d'entraînement. Elle bloque, au contraire, l'élan de la liberté à travers le Moyen-Orient. L'évocation de la chute du communisme permet au Président Bush de célébrer “la progression de l'économie de marché et de la libre entreprise” et de critiquer “la planification centrale et (la) discipline sociale très stricte” qu'elle implique. Peut-être faudrait-il, cependant, remarquer que l'éthique morale exige, comme antidote aux dérives du capitalisme sauvage, l'adoption d'un code de solidarité et d'entraide humaine, à l'échelle des pays et des nations. D'autre part, les revendications tiers-mondistes, en faveur du re-équilibrage des relations asymétriques et de l'échange inégal doivent être prises en compte par l'Establishment international. Les utopies idéologiques pèchent souvent par leurs visions systématiques et absolues. Mais les principes humains de justice, de solidarité, d'entraide doivent être assumés et intégrés dans les programmes alternatifs, des dirigeants politiques responsables.  De ce point de vue, la défense de la liberté et sa mise au programme du Président Bush constitue un élément positif, dans la mesure où elle s'inscrit dans une stratégie de défense de la souveraineté populaire, d'application rigoureuse des motions des Nations-Unies, de défense absolue de la culture de la paix, mettant sur le même pied d'égalité, tous les partenaires du Moyen-Orient. Mais l'exception israélienne  - ce talon d'Achille des USA - limite la portée du discours du Président Bush.

 

Nous n'adoptons pas sa carte de la géopolitique démocratique du Moyen-Orient. Elle fait valoir volontiers des mesures symboliques, des déclarations d'intention, mettant en valeur les prises de position, au cours de la guerre d'Irak. Des sérieuses avancées dans certains pays ont été occultées, comme si elles allaient de soi. On a, également négligé de faire valoir les régimes qui bénéficient d'un consensus populaire réel.   D'autre part, une certaine «condescendance culturelle» perturbe le diagnostic présenté, malgré la volonté de l'analyste de prendre ses distances par rapport à la vision du choc de civilisations dont l'évocation ne paraissait pas opportune. Mais dans quelle mesure est-ce qu'elle ne consistait pas une référence essentielle, une assise désormais solidement implantée dans le discours dominant ? Fait indéniable, la démocratisation du Moyen-Orient ne peut être que le produit d'une dynamique endogène, bénéficiant d'un développement socio-économique évident. Introduisant, dans la pensée américaine, de nouveaux paradigmes, le discours du Président Bush requiert l'étude et la réflexion. Mais il faut d'abord sortir de cette épreuve irakienne, pour le bien et le salut de tous.

 

12 novembre 2003 : Pauvres Italiens, qu'est-ce qu'ils sont venus faire dans ces galères ? Un attentat-suicide au camion piégé, contre une base des carabiniers italiens, à Nassiriya, dans le sud de l'Irak, le mardi 11 novembre, a été particulièrement sanglant : 27 morts: 12 carabiniers, 4 militaires et deux civils italiens ainsi que neufs civils irakiens. Aligné sur le gouvernement américain, le chef de gouvernement italien Silvio Berlusconi a défié son opinion publique, alors que la manifestation contre la guerre avait rassemblé plus de trois millions de personnes à la mi-février. Le chef de gouvernement crut devoir approuver l'intervention et dépêcha  2.400 militaires pour soutenir les forces d'occupation. Comment arrêter ce cycle de violences qui conteste la Paxa americana, solennellement annoncé, après la chute de Bagdad ? “Le pays, tout entier, doit s'incliner  devant la mémoire de ces garçons. Ensuite viendra aussi le temps de la réflexion et des interrogations”, affirma Walter Veltroni, le maire de centre-gauche de la capitale italienne. Ces tragédies successives doivent susciter une pause de réflexion susceptible de faire valoir une révision de la politique de la coalition. En attendant, le front  de la guerre semble se fissurer. Après les Turcs, les Japonais semblent remettre en cause leur participation militaire. Il était temps. L'intervention turque risquait de remettre en cause l'équilibre ethnique du Conseil intérimaire du gouvernement. La participation japonaise transgressait la constitution pacifiste du Japon, promulguée en 1946. Grave conséquence de cette guerre, elle permet à  la Kaïda et aux organismes similaires d'étendre leurs activités à la scène irakienne, qui leur échappait jusqu'alors ?  La complexité de la  situation, le désarroi des populations, le réveil du mouvement national irakien et les sentiments de ressentiments, de colère et d'humiliation peuvent, hélas, contribuer à la formation d'oppositions-amalgames, réunissant les mouvements inconciliables et irréductibles. Dans de telles conditions toutes les dérives sont possibles, à moins qu'un ressaisissement international ne parvienne à imposer un traitement politique désintéressé, assurant la restauration de la souveraineté et l'adoption d'une stratégie de reconstruction  solidaire, éloignant de la scène les protagonistes de l'épreuve guerrière.

 

14 novembre 2003 : Réunion d'urgence, sinon Conseil de guerre, mercredi 12 novembre à la Maison Blanche, sous la Présidence de  George W. Bush et en présence  du vice-président Dick Cheney, de Paul Bremer appelé en consultation et des membres du Conseil National de Sécurité. L'ordre du jour concernait la situation en Irak, où les troupes de la coalition étaient mises en échec par la recrudescence des opérations de résistance et/ou de terrorisme. Le Président Bush  a révélé que son administration  mettait au point un  nouveau projet qui a pour objectif “d'encourager les Irakiens à assumer davantage de responsabilités”. En réalité, la décision de «l'irakisation» des opérations dites de «sécurisation», annoncée par le Président Bush a été prise vraisemblablement, depuis la fin d'octobre, marquée par l'attaque contre le siège du CICR, qui a illustré l'ampleur de la résistance  et la difficulté de la circonscrire.  Dès le 2 novembre, Donald Rumsfeld, Ministre de la Défense, affirmait dans des émissions de télévision : “Nous allons laisser les Irakiens reprendre leur souveraineté. Ils prendront leur propre sécurité en mains”. Ainsi redéfinie, la souveraineté irakienne semble se limiter à la «sécurisation». Fait significatif, le ministre annonce  la volonté du gouvernement américain de “gagner la bataille des idées” (déclaration sur la NBC, 2 novembre 2003). Ce qui atteste l'objectif de persuasion de l'opinion publique mondiale et américaine. Mais est-ce que la prise en compte de la situation sur le terrain irakien est susceptible de précipiter l'adoption, d'un scénario d'un désengagement ?  Il serait hasardeux de le croire. Wait and see.

 

19 novembre 2003 : Interprétant hâtivement la déclaration du Conseil intérimaire de gouvernement, samedi 15 novembre, les journalistes se sont empressés d'affirmer la fin de l'occupation américaine de l'Irak, en juin 2004. Le “gouvernement indépendant et souverain”, évoquée par Jalal Talabani n'est pas pour demain. Il faut voir les réalités en face. Ce qui est, par contre certain, c'est que le gouvernement américain semble décidé à adapter son approche, à la suite de la montée des périls, à la veille des élections américaines. Mais le désengagement n'est pas à l'ordre du jour. La partie est trop importante, pour être stoppée, en milieu de parcours, alors que les dividendes de la guerre ne sont pas encore assurées. La guerre n'est pas un jeu. Ses enjeux et ses intérêts, fussent-ils bassement matériels déterminent l'action des belligérants. Il faudrait donc plutôt évoquer un éventuel changement de tactique, pour mieux servir la stratégie adoptée. Par souci d'efficacité, le gouvernement américain réagit, en tenant compte de la nouvelle donne. Mais cela exclut un changement fondamentale de sa politique moyen-orientale.

 

La déstructuration de l'administration irakienne, sérieusement éprouvée par l'idéologisation baathiste puis l'ostracisme américain et la remise en cause de l'Etat-nation par le réveil des communautés ethniques et religieuses, ont créé une situation d'exception, difficile à prendre en charge. D'autre part, l'épreuve de l'occupation a bloqué l'émergence d'un leadership crédible. Colin Powel remarquait, à juste titre, vendredi  14 novembre, sur la chaîne de télévision de San Diego, l'absence d'une personnalité, disposant des qualités d'un dirigeant (national). Les candidatures des membres du Conseil intérimaire du gouvernement sont évidemment récusées. Elles ne peuvent jouer le rôle d'un Hamid Karzay, présenté comme modèle, malgré les déboires de la gestion de la question afghane.

 

L'implication de la communauté internationale a, nous parait-il,  plus de chances pour assainir  la scène irakienne et permettre à la dynamique interne de dégager un leadership national incontesté. Dans ce contexte du dégagement américain - vœux de consensus -   l'engagement d'un dialogue national pourrait construire des compromis. La nouvelle politique américaine semble privilégier désormais la dimension politique, dans le traitement de la question. Peut-être, peut-on espérer, grâce à la révision du diagnostic, un changement d'approche, pour permettre au peuple irakien de construire un régime de consensus, susceptible de re-fondre sa souveraineté et de s'ériger en acteur politique responsable, soucieux des intérêts de ses citoyens et solidaire avec son environnement. A moins qu'il ne faille laisser du temps au temps.

 

21 novembre 2003 : La ligne de fracture moyen-orientale se prolonge désormais en Turquie. Les attaques-suicides d'Istanbul, le 15 et le 20 novembre le confirment. Hésitant mais ferme, le gouvernement turc n'a pas répondu aux injonctions du gouvernement américain, qui demandaient l'installation de points d'appui, en Turquie, pour l'armée de la coalition, pendant la guerre d'Irak. Son offre de participer à la «pacification» de l'Irak, c'est-à-dire à la lutte contre la résistance nationale, par l'implication des troupes turques a été contrecarré par le net refus du CIG, qui a fait valoir les réticences des formations kurdes. Mais la dichotomie entre la référence générique : l'appartenance de la Turquie à l'aire musulmane et l'option conjoncturelle : l'alliance contre-nature de son gouvernement avec Israël était susceptible de développer les ressentiments populaires. De telles situations pouvaient être dangereusement exploitées par les mouvements intégristes, soucieuses de déstabiliser les régimes du Moyen-Orient. Les  attentats-suicides, samedi 15 novembre, contre deux synagogues à Istanbul et qui avaient fait 25 morts, s'inscrivaient dans cette stratégie de la dérive, la politique du pire, la culture de la violence gratuite. Qui peut profiter de cette agression contre des personnes innocentes ?

 

Les attentats du 20 novembre - au moins 27 morts - frappaient les intérêts britanniques (la banque HSBC et le consulat de Grande Bretagne), alors que le Président Bush  visitait Londres. Ce qui atteste la cause irakienne de l'opération. Les méthodes employées durant ces différents attentats (opérations kamikazes, deux attaques synchronisées) révèlent des similitudes avec les opération de la Kaïda, qui a saisi le contexte de l'épreuve irakienne, pour étendre son champ d'action.  La «démocratisation» - but désormais annoncé par l'intervention américaine - consolide sur le terrain les ennemis de la démocratie et de la paix. La zone d'instabilité s'étend. On n'est pas encore sorti de l'auberge. 

 

26 novembre 2003 :  Deux grands dirigeants chïtes : Ali Sistani et Mohamed Saïd Hakim, ont rejeté hier les modalités de transfert des pouvoirs  des autorités de la coalition  à un gouvernement irakien, fixées par Paul Bremer et  communiquée au Conseil intérimaire de gouvernement irakien le 15 novembre. Les deux dignitaires chïtes demandent que le nouveau gouvernement, expression de la souveraineté populaire doit être formé à l'issu d'élections générales. La désignation d'un organe exécutif par un arrangement entre les autorités de la coalition et le CIG qu'ils ont créé ne peut assurer les conditions de légitimité requises. Mais l'épreuve électorale obligerait  les membres du CIG à faire valoir leurs assises populaires. Difficile épreuve pour certains outsiders, qui ont construit leur carrière politique dans l'exil. 

 

31 novembre 2003 :  Grand scoop médiatique, on apprend vendredi 28 novembre, que le Président Bush a fêté jeudi soir le Thanksgiving, en Irak, avec les troupes américaines. Voyage confidentiel, annoncé après le départ de l'Irak. Arrivée discrète, tous feux éteints de l'appareil présidentiel. Rencontre symbolique avec seulement 600 soldats - sur les 130 000 que compte l'armée américaine. La visite de l'Irak s'est d'ailleurs limitée à l'aéroport. Est-ce que ce voyage quasi virtuel  peut avoir une signification politique ? Le voyage de Hilary Clinton, en compagnie du sénateur démocrate Jacques Reed, lui a permis d'émettre son approche critique de la question irakienne. Plus explicite, Jacques Reed déclara :

 

“On pourrait rétrospectivement considérer que la décision d'attaquer l'Irak s'est révélé très coûteuse et sans impact direct sur les vrais ennemis qui cherchent à s'en prendre aux Etats-Unis.”

 

L'attaque hier d'un convoi espagnol au sud de Bagdad, provoquant la mort de 8 officiers de renseignements et d'une mission diplomatique japonaise (2 morts), étudiant les préparatifs de l'engagement de leur pays, auprès des troupes de la coalition montrent que la guerre reste à l'ordre du jour. L'échec militaire (75 morts américains, durant le mois de novembre) est aggravé par la remise en question des mobiles militaires (absence d'armes de destruction massives) et politiques (discours en faveur de la démocratisation). Démenti formel du discours du Président Bush, Ahmed Chalabi, Président du Congrès National Irakien (CNI) estime que des élections irakiennes doivent être renvoyées aux calendes. Il faudrait, au préalable, dit-il effectuer un recensement général de la population et définir le statut de l'électeur. Certaines personnalités de l'exil, qui ont regagné l'Irak, avec les troupes américaines semblent redouter le baptême électoral, fondateur de la légitimité.

 

1er décembre 2003 : Lancement, aujourd'hui du «pacte de Genève», initié par l'Israélien Yossi Beillin et le Palestinien Abd Rabbo. Alors que le gouvernement israélien bloquait le processus de paix, profitant des circonstances favorables de la guerre d'Irak, le clan des partisans de la paix ne désarme pas. Il réalise qu'il était urgent et prioritaire de construire la confiance entre les deux peuples du Proche-Orient et de réaliser leur réconciliation, par des négociations directes. Au moment où l'esprit guerrier veut imposer ses diktats, remodeler le Moyen-Orient faisant voir les nouveaux rapports de forces sur le terrain, l'Israélien Yossi Beillin et le Palestinien Abd Rabbo, défient la conjoncture et font le pari de la paix, sans intermédiaires et sans courtiers. Cette initiative audacieuse, à contre-courant par rapport à la stratégie de démonstration de forces, mérite d'être saluée.

 

7 décembre 2003 : La guerre se poursuit sur le terrain irakien où la coalition affronte le maquis. Peut-on définir cette résistance et dégager ses importantes composantes ? L'analyse des faits montre la multiplicité des acteurs : Des opérations kamikazes, qui relèvent des mouvements intégristes et peut-être même des réseaux de la nébuleuse d'El-Kaïda, des attaques - ciblées, qui attestent une maîtrise  évidentes de l'art militaire et des actes de résistance populaire, avec les moyens du bord. La nature des objectifs semble différencier l'action de ses différentes mouvances, puisque les opérations kamikazes ne ménagent ni la population civile ni les institutions internationales, fussent-elles humanitaires ! L'analyse des faits permet de constater l'absence d'une direction unique, exécutant une stratégie commune. Peut-être, peut-on parler d'un compromis conjoncturel entre des visions inconciliables ? La politique du pire pratiquée par les mouvements kamikazes peut  être difficilement tolérée par la résistance nationale, soucieuse de s'assurer le soutien populaire. Cette situation explosive pourrait instaurer une anarchie insurrectionnelle, qui perpétuerait la tragédie irakienne. Unique solution, la restauration de la souveraineté nationale, qui permettrait à la dynamique  interne de construire le compromis salutaire et de favoriser l'émergence d'un pouvoir d'union, bénéficiant d'une légitimité.

 

15 décembre 2003 : La coalition annonce triomphalement, le 13 décembre, la capture de Saddam Hussein, près de Tikrit, sa ville natale.  On l'aurait sorti, le jour même, de la cachette où il se terrait, près d'une ferme à Ad-Dour. Saddam descendu de son piédestal, visage barbu, humilié et soumis aux soldats qui le fouillent, ces images diffusées en boucles, devait consacrer et illustrer la victoire américaine. Il s'agit en fait d'un non-événement, dans la mesure où la chute de Bagdad a mis fin à son pouvoir et au régime politique qu'il a fondé. Le prisonnier est, en fait, un souverain détrôné, un homme traqué, préoccupé par sa propre sécurité et dépourvu de moyens d'actions. La mise en scène médiatique permettait de ressusciter pour la gloire de ses ennemis, un dirigeant mort politiquement depuis longtemps. Redimensionnant l'impact de la prise, le Président Bush reconnaissait, dés le 15 décembre, que “la capture de Saddam ne marquera pas la fin de la violence”, que le «travail» qu'il s'est assigné en Irak, «restait difficile» et qu'il nécessiterait  «de nouveaux sacrifices». En fait, l'Irak connut, après l'arrestation de Saddam, une recrudescence de la violence. Fait significatif, l'arrestation de Saddam libère la résistance irakienne des séquelles et contentieux de son régime. Pour les Américains, cette «victoire» symbolique peut offrir une chance pour réussir leur sortie de scène, après la chute de l'ancien régime.

 

21 décembre 2003 : Comment sortir de l'impasse ? Les affrontements se suivent et se ressemblent. L'envoi de renforts américains - une brigade supplémentaire pour soutenir les 123.000 soldats déjà présents sur le terrain - atteste que les Etats-Unis envisagent une escalade. La reconstruction de l'Irak - dont on attendait les retombées bénéfiques pour les entreprises américaines - doit être reportée. Les Américains sont dans la phase de «pacification». En attendant, ils envisagent de recruter les savants de Saddam, experts dans les armes de destruction massives. Cette fuite de cerveaux, du fait de la guerre, ne faisait pas partie des enjeux officiels de l'intervention américaine. 

 

31 décembre 2003 : Les fêtes de la Noël et du Nouvel An, se sont déroulées sous les bombes en Irak, ou les cycles de violences -  «pacification» et résistance - n'épargnent personne. L'opération «poigne de fer», engagée par la coalition, n'a pu établir l'ordre américain. Les attaques de Kerbala, la ville sainte des chïtes, contre le siège du commandement et du gouvernorat - quatre voitures pleines d'explosives, 13 morts et une centaine de blessés - montrent que la résistance ne se limite pas au triangle sunnite. Ce baptême de feu du commandement polonais du secteur et du corps expéditionnaire bulgare, n'est pas de nature à assurer l'engagement de nouvelles troupes alliées. Comment peut-on réhabiliter la paix, dans ces temps de guerres ? Comment faire bénéficier l'homme du droit inaliénable à la vie ? Comment faire valoir les droits de l'homme, comme praxis et vécu et condamner les vulgates guerrières ?  Comment remettre l'espoir à l'ordre du jour, à la veille de la nouvelle année ? 

 

◊◊

 

Est-ce que la guerre d'Irak inaugure une nouvelle politique américaine  d'expansion ? L'historien averti, attentif au long terme, remarque plutôt un processus de continuité, induit par la dynamique économique et les mutations géopolitiques et qui s'adapte au contexte général et tient compte des rapports de forces avec les partenaires.  La nouvelle donne, annoncée par la fin de la guerre froide, l'implosion de l'URSS et ses effets dans le court et le moyen terme, à savoir la re-dimension des ambitions des puissances moyennes et le déclin conséquent du tiers-mondisme a privilégié les USA, sur une scène internationale quasi-monopolaire. Est-ce que l'Establishment américain a voulu exploiter cette situation, pour remodeler le monde, à son avantage, utilisant le Moyen-Orient comme rampe de lancement ? Fait d'évidence, sa re-définition de ses enjeux intègre implicitement son contrôle des forces de dissuasion, sa maîtrise des sources d'hydrocarbures et sa domination du marché-monde.

 

Peut-on inscrire l'aire de domination américaine dans l'itinéraire historique des empires et envisager - ne fut-ce, comme cas d'école ! - sa chute ? Certains analystes se sont empressés de l'envisager, sinon de l'annoncer. Cette approche méthodologique relève de la gageure. L'histoire n'est pas un perpétuel recommencement. Chaque fait historique est déterminé par ses données spécifiques. L'ère post-moderne et ses situations de paradoxes, le changement global qu'elle a induit, la disparition des règles de jeux habituels, rendent nos références d'analyse peu pertinents. Pis encore, obsolètes. Nous devons désormais naviguer à vue d'œil et limiter le champs des prospectives géopolitiques.  Et d'abord, peut-on se risquer à définir le nouvel empire américain[63]? Fondé sur la maîtrise effective du terrain et le contrôle des flux énergétiques, financiers et commerciaux, il ne peut être qualifié de virtuel ou d'informel ? Son soft power est convainquant dans la mesure où  il se fonde sur la puissance militaire et l'appareil de l'Etat, donc sur les instruments du hard power.

 

Tout dépend, en fin de compte des réactions que «le nouvel empire» suscite sur le terrain, sur les différentes scènes d'engagements militaires, sur son aire-cible moyen-orientale et sur son partenariat mondial. Mais n'occultons pas la réaction interne et la prise de décision du citoyen américain. Par définition, toute guerre s'engage sur une multitude de fonts. Mais elle appréhende, en premier lieu, le citoyen qu'on fait la guerre en son nom. A l'instar de l'épreuve vietnamienne, son ultime regard peut être déterminant.

 

Khalifa Chater

31 décembre 2003.

 

Etudes Internationales, n°90, 1/2004.

Sous-presse

Notes 

[63] - Voir le dossier "comment vivent et meurent les empires", in Marianne,  n°348-349, semaines du 22 déc. 2003 -4 janvier 2004, pp. 41 -  105.