Chronique d'une guerre annoncée 

revenir à la page d'accueil

 

Revenir à la table chronologique

Professeur Khalifa Chater

vice-Président de l'AEI, Tunis.

 

2002

Juin 2002

Juillet - Septembre  2002

Octobre -  Décembre 2002

2003 Janvier - Mars 2003

14 Mars - 22 Mai 2003

Juin - Octobre 2003

Novembre-Décembre 2003

2004 Janvier - Avril 2004 Avril - Juin 2004 Juillet - Septembre 2004 Octobre - Décembre 2004
2005 Janvier - Mars 2005 Avril - Juin 2005    

 

Juillet - Septembre 2002

 

Toute tentative de prospection géostratégique s’élabore à partir de la lecture de la scène internationale, de l’analyse des discours de ses principaux acteurs, à la lumière des rapports de forces, sur le terrain. Il était donc naturel de privilégier, dans cette analyse, la présentation des vues des grands acteurs. Revendication de l’opinion publique internationale, la morale politique est bien souvent considérée comme question subsidiaire, sinon occultée lors des grands débats. Autre fait d’évidence, élaborées à partir des seules informations disponibles, qui mêlent les données brutes, les professions de foi, les manœuvres politiques, ces lectures doivent procéder à des analyses critiques, explicitant le non-dit, dégageant la bonne graine de l’ivraie de l’information-flux disparate, qui intègre tous les éléments des dossiers de presse, y compris les produits des campagnes d’intoxication des différents services. La connaissance est à ce prix.

 

Jeudi 4 juillet  2002  : Peut-on oublier la Palestine, «mauvaise conscience » de l’humanité, au cours de cette journée de célébration de l’indépendance américaine, une consécration de la souveraineté populaire ? La «pacification » coloniale de triste mémoire est désormais à l’ordre du jour. Profitant d’un silence complice, Israël occupe, déporte et tue, en toute impunité. Elle érige, depuis une semaine, avec une vitesse fulgurante, une clôture de sécurité pour réaliser le bouclage de la Cisjordanie. La ligne Morris, le mur de Berlin et la clôture israélienne ne servent qu’à définir leurs auteurs. Israël croit avoir réussi son coup médiatique, en détournant l’opinion internationale de ses exactions, par l’invention du problème de «la légitimité» du chef de l’OLP. Est bien dupe qui le veut !

 

Ces combats d’arrière-garde peuvent, faire gagner du temps. Ils ne peuvent bloquer la dynamique de la liberté. En d’autres temps, les pouvoirs coloniaux ont certes tenté de créer des partenaires complaisants. Mais ils ont dû rapidement déchanter et négocier avec les leaders nationalistes, investis par la volonté populaire et auréolés par la légitimité de leur combat. Même  scénario, au cours de la seconde guerre mondiale où les velléités des alliés de redimensionner de Gaulle, sinon de l’écarter définitivement de la scène, n’ont pas abouti. Ces manœuvres permettront de consolider le front et de démasquer d’éventuelles complicités et bien entendu, certaines «plumes mercenaires» qui sévissent dans certaines médias arabes, des journaux et des chaînes paraboliques off shor. Le lecteur attentif constatera qu’une certaine campagne de désintoxication a déjà commencé. Ne surestimons pas ses effets, ne fut-ce dans l’aire de la mondialisation !

 

Samedi 6 juillet  2002 : Quel crédit faudrait-il accorder à l’essai de  Guillaume Bigot, Les sept scénarios de l’apocalypse[10] – un genre spécial entre la prospection stratégique et la science-fiction. Adressant un avertissement à ses contemporains, grisés par la paix éternelle, dans le monde monopolaire, Bigot tente d’identifier différents scénarios terrifiants, susceptibles de menacer la paix mondiale, à partir des poudrières les plus explosives de la planète.  Observation préliminaire, le diagnostic-postulat de Guillaume Bigot ne résiste pas à la critique. Conséquence fatale, ou peut-être, effet d’entraînement de la nouvelle situation, la fin de la guerre froide a été relayée dangereusement par les guerres du Golfe, de l’ex-Yougoslavie et de la Tchéchénie, qui traduisent, sur la nouvelle scène internationale, la rupture des équilibres géopolitiques d’antan. L’humanité ne put guère tirer profit d’une quelconque ère de grâce, entre les épreuves. En effet, toute transition inaugure et engage une nouvelle mise en jeu politique des grands acteurs avec ce qu’elle implique de velléités de re-équilibrage, d’affrontement des intérêts et parfois de montée des périls. Autre fait d’évidence, la disparition de l’ennemi vide l’action politique de sa subsistance, détourne les opinions vers le champs intérieur et met à rude épreuve l’économie industrielle. Qui peut se permettre ce grave risque : le pari de la paix ?  Est-ce à dire que les sept nouvelles d’anticipation stratégique de Guillaume Bigot sont de simples constructions de l’esprit ?

 

La nouvelle donne internationale, permet cependant de re-actualiser l’analyse de la scène géostratégique. Le nouveau paradigme de la lutte contre le terrorisme, institué depuis les attentats du 11 septembre, intègre la nébuleuse intégriste internationale constituée par le réseau Al-Qaïda[11] et des ennemis traditionnels, dénommés désormais «les parrains du terrorisme », en dépit de l’opposition idéologique irréductible entre certains de ces Etats  et l’intégrisme, tells l’Irak, la Syrie et à fortiori la Corée du Nord[12]. Mais le contentieux de l’histoire immédiate  explique cet élargissement de «l’espace des inimitiés». Analysant cette guerre, l’analyste français, Daniel Vernet la décompose plutôt en multiples « campagnes », estimant qu’elle ne se joue pas sur des champs de batailles bien délimités[13]. Notons cependant que tout en faisant face à une menace diffuse, pouvant provenir de n’importe où, de l’aire-monde, les Etats-Unis ont réservé leur stratégie préventive à leurs ennemis, les pays de «l’axe du mal», selon la propre expression du Président Bush. Une comparaison très instructive permet cependant à Daniel Vernet de comparer la pensée stratégique de la guerre froide et des temps présents[14]. Peut-être faudrait-il, cependant lui  rappeler certaines données de base évidentes : le leadership exclusif américain, le risque bien réel d’occultation des souverainetés populaires et les menaces d’élargissement de l’aire ennemie, selon une vision réductrice unilatérale, suggérée par Samuel Huntington. Acte de courage et de lucidité politique, les sénateurs Edward Kennedy, démocrate du Massachusetts et Richard Lugar, républicain de l’Indiana ont présenté un projet de loi, dénommé «loi sur les ponts culturels», qui vise à stimuler l’interaction entre les Américains et les citoyens des pays musulmans. Il s’agissait, pour eux, de dissiper un malentendu et de montrer que l’Occident ne livre pas de guerre contre les pays d’Islam, qui représentent près d’un milliard, cinq cent milles âmes[15].

 

Samedi 13 juillet  2002 : En dépit de tentatives dilatatoires évidentes,  la question palestinienne reste à l’ordre du jour. Analysant cette situation, Robert Malley, ancien conseiller du Président Clinton, pour les affaires israélo-arabes remarque cette situation paradoxale et « tragique » : “avoir une solution à portée de main et en passer par des conditions irréalisables avant d’y parvenir.”. Il demande aux Etats-Unis de “réviser leur politique et de mettre la question du statut final, en amont plutôt qu’en aval[16]”. Autrement, les questions procédurières occuperaient les négociations et les bloqueraient, au profit des adversaires du processus de paix. J’avais écrit, dans la dernière livraison de la revue Panoramiques, destinée à remettre les pendules à l’heure, que “le temps des négociations-marchandages est révolu[17]” et qu’il fallait tout simplement décidé d’appliquer les résolutions de l’ONU, condamnant l’occupation et consacrant la naissance de l’Etat palestinien, en vertu du principe de l’autodétermination des peuples. La normalisation des relations entre les Etats de la région se réalisera, comme conséquence de fait, par la prise en compte préalable des normes du droit international par Israël et la cessation de sa politique de belligérance. La co-existence des peuples sera dans la nature des choses. Mais il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs.

 

Mardi 16 juillet  2002 : L’escalade contre le Président de l’autorité palestinienne est, bel et bien, engagée. Dimanche 14 juillet  2002, Collin déclara solennellement :“Nous ne traiterons plus avec Arafat[18]”. En attendant l’émergence d’une autorité alternative – nécessairement privée d’assise populaire et de légitimité historique – les Palestiniens n’ont plus voix au chapitre, lors des négociations qui concernent leur avenir. En d’autres temps, Bill Clinton tenait à faire valoir les accords pressentis du processus de paix, par le sceau des grands acteurs concernés et d’abord celui de Yasser Arafat, pour tout ce qui relève de la Palestine. Autre fait significatif, l’assassinat de Rabin, l’autodiscréditation de Perez et le départ commandé de Arafat débarrasseront Sharon, de tous les promoteurs de l’accord d’Oslo, par cet enterrement intégral de l’entente historique avec ses partenaires lucides et courageux. Que peut-on attendre de la nouvelle donne ? Fallait-il aliéner cette décision volontaire de traiter cette question essentielle, par la remise en question du partenaire sur le terrain ? La vision globale de Bush - deux Etats, retour aux frontières de 1967, abolition de la colonisation - se trouve hélas conditionnée par un préalable non conforme à sa lettre et à son esprit. J’ose espérer que l’écoute des partenaires arabes, la prise en compte de leurs opinions publiques, les intérêts bien compris des Israéliens et des Palestiniens et in fine la sagesse politique permettraient le retrait de ce préalable, qui bloque les mécanismes d’un processus très prometteur.

 

Fait significatif, l’Union européenne, la Russie et les Nations unies, n’ont pas avalisé l’option américaine, au cours de la réunion du «Quartet», aujourd’hui (16 juillet  2002). Ils continueront à reconnaître la légitimité de Yasser Arafat. De fait, les travaux de ce groupe «quadripartite», en l’absence des protagonistes ne peuvent être que consultatifs. A l’écoute de la colère arabe, l’Egypte, la Jordanie et  l’Arabie Saoudite, invités à joindre le groupe, pouvaient difficilement adhérer à cette stratégie américaine et admettre son ostracisme injustifié.

 

Lundi 29 juillet 2002 : Au cours de mes pérégrinations, chez les bouquinistes de Nice, je découvre un rapport sur l’utilité des guerres, publié en 1967, aux Etats-Unis, puis en France, en 1968[19]. Il s’agit en réalité, du compte rendu des travaux d’un groupe de quinze experts, chargé par le gouvernement américain, en 1961, “d’examiner avec avec réalisme les problèmes qui se poseraient aux Etats-Unis si une situation de « paix permanente » se produisait”. Certes, le problème de la véracité du document peut être posé. Mais l’auteur de la préface anonyme dans la version anglaise, fut dévoilé, dans l’édition française. Herschel McLandress n’est autre que le professeur célèbre J. K. Galbraith,  qui “déclare garantir l’authenticité de ce document, dans la mesure où il peut être fait confiance à sa parole et à sa bonne foi[20]”. Document authentique ou oeuvre de pure imagination –  nous penchons plutôt pour le premier cas de figure - ce  rapport démontre que la paix est un facteur de perturbation de l’économie et d’instabilité générale. Pour faire face aux effets d’une économie « désarmée », les programmes proposés de conversion ne tiennent pas suffisamment compte de l’ampleur des ajustements nécessaires[21]. «Facteur de libération sociale», «stabilisateur des conflits entre générations», «clarificateur des idéologies», «fondement de la compréhension internationale», ces éloges de la guerre[22] sont d’un cynisme terrifiant. Conclusion grave, l’option militaire est choisie, assumée, revendiquée, car “toute situation de paix authentique et totale, si perfectionnée soit-elle, sera un facteur de déséquilibre, jusqu’à preuve du contraire[23]”. Selon cette vision des choses, l’entretien d’une situation de guerre est d’une nécessité absolue. Est-ce à dire, que la disparition de l’ennemi soviétique a placé les Etats-Unis, dans cette situation inconfortable, «en danger de paix» ? Nous estimons, quant à nous, qu’il faut ériger la culture de la paix en postulat fondateur, en référence absolue.

 

Mercredi 7 août 2002 : Washington poursuit les préparatifs de sa campagne psychologique ou militaire contre l’Irak. Dès le 8 juillet 2002, le Président Bush s'est dit déterminé à "utiliser tous les moyens à la disposition" des Etats Unis, pour obtenir un changement de régime en Irak. Depuis lors, les médias américains se relayèrent pour évoquer les préparatifs militaires, décrire les scénarios d’intervention, construire les systèmes d’alliance de la croisade contre l’Irak. A l’appui de cette campagne de presse, nourrie vraisemblablement par des "fuites" volontaires, des grandes manœuvres diplomatiques accréditent la thèse d’une intervention d’envergure[24], pour imposer la Pax americana au Moyen-Orient, inaugurée par l’occupation de l’Irak et l’installation d’un pouvoir docile. Avec empressement, les médias américains annoncèrent que certains pays tels que le Koweït, le Qatar, la Turquie, Bahreïn, Oman et les Emirats arabes unis seraient d'une manière ou d'une autre impliqués. Information embarrassante et sans doute sujette à caution, l’engagement dans cette croisade contre l’Irak risque de perturber les équilibres fondateurs au Moyen-Orient, de déstabiliser les régimes en place et d’opposer les Establishments à leurs populations. Lucide, le roi de Jordanie estime que "des actions militaires contre l’Irak ouvriraient vraiment la boite de Pandore[25]." La présence du prince Hassan de Jordanie à la réunion des officiers irakiens en exil, à Londres, le 14 juillet 2002, pour préparer le renversement de Saddam, montre l’état de désarroi de cette opposition irakienne, qui n’hésite pas à envisager un scénario royaliste peu crédible.

 

Mardi 13 août 2002 :  Les nouvelles annoncent un lever de bouclier contre l’intervention américaine en Irak, que les observateurs avertis refusent d’assimiler à la nébuleuse d’el-Kaïda. Une véritable coalition de fait, informelle et spontanée, milite pour un re-examen de la situation, demandant à l’Establishment américain de revoir sa copie. Fait plus important, durant cette ère postmoderne, ou la communication tient lieu de politique, où le conditionnement médiatique assure la diffusion de la pensée unique, l’opinion publique occidentale réussit à exprimer ses doutes sur l’opportunité de cette guerre. La grande «croisade de la civilisation», annoncée à la suite des événements tragiques du World Center et justifiée sommairement contre «l’axe du mal» - les «rog states» identifiés hors du contexte de l’après-11 septembre – ne semble pas susciter pas une grande adhésion populaire. Trois Français sur quatre sont opposés à une intervention militaire contre l’Irak[26]. En dépit de l’alignement de Tony Blair sur les positions du Président Bush, 52% des britanniques sont opposés à une participation de leurs soldats[27]. Aux Etats-Unis, le Sénat et la Chambre des Députés ont décidé de procéder à des auditions pour examiner la pertinence de la guerre, alors  que Dick Armey, chef de la majorité américaine au Sénat exprime ses réserves. Un débat national sur la question est désormais à l’ordre du jour[28]. Fait symptomatique, le chancelier allemand Gerhard Schröeder réaffirma son opposition, au cours d’une réunion électorale. Ce qui atteste que le discours de la guerre n’exerce pas d’attrait outre-Rhin. Il estime, par contre, que «Le Proche-Orient a besoin d’une nouvelle paix et non d’une nouvelle guerre[29]». 

 

Bouleversé par les trois guerres du Golfe, à savoir l’affrontement Iran/Irak, l’invasion du Koweït et la coalition contre l’Irak, gravement mis à l’épreuve par l’invasion des territoires gérés par les autorités palestiniennes et son escalade guerrière, l’ordre moyen-oriental risque d’être sérieusement fragilisé par l’annonce de la nouvelle guerre. Rappel à l’ordre ou prémisse d’une velléité de dictat, comment peut-on appréhender la critique de l’Arabie Saoudite, par l’analyste de la Rand Corporation, Laurent Murawiec, lors d’une réunion du Pentagone[30]? S’agissait-il d’un “acte gratuit” ? Les interventions de Donald Rumsfeld et de Colin Powell pour exprimer l’embarras de Washington et affirmer que cette position “ne reflétait pas la position du gouvernement”, était destinées à dissiper ce malentendu diplomatique. L’incident révèle néanmoins la volonté de réduire les marges de manœuvres des acteurs de l’aire arabe, fussent-ils considérés par l’Establishment monopolaire comme des alliés stratégiques ! Faut-il croire que l’ère post-guerre froide induit des révisions significatives des alliances  ? Nous ne partageons pas cette thèse de Khaled Abdallah[31], car nous estimons que la politique américaine considère, appréhende la donne pétrolière, comme priorité essentielle.

 

La rencontre Khatémi/Karzay, aujourd’hui, à Kaboul, à l’initiative du chef d’Etat afghan, atteste l’intérêt  que manifeste l’Iran à la reconstruction de la sécurité de la région. Khatémi affirme sa volonté de participer à la restructuration de l’aire moyen-orientale, comme partenaire de plein droit. La présence des représentants du Conseil islamique, installé en Iran, à la réunion de l’opposition à Washington, le 8-10 août, n’est pas de nature à l’exclure de la concertation officielle ou officieuse.

 

 11 septembre 2002 : Journée gravée dans la mémoire de l’humanité. Comment oublier ce spectacle d’horreur du 11 septembre 2001 ? Le “désordre barbare”, a atteint son paroxysme. Rien ne peut justifier les attentats du World Centre. Ces morts d’hommes, le 11 septembre, doivent être condamnés avec l’extrême rigueur. Bien entendu, toute invocation de la religion, en la matière, est hors de sujet. Produit de la dérive de la pensée, cette tragédie doit être traitée avec lucidité et sang froid.  Elle nécessite un re-examen général de la politique américaine, dans le monde et d’abord ses alliances conjoncturelles, durant la guerre froide, qui ont largement contribué à l’apparition des «Afghans», qui tenteront de déstabiliser leurs Etats respectifs.

 

Choqués par les attentats du 11 septembre 2001, réagissant à ce défi, soixante intellectuels américains ont défini leurs positions, dans une motion intitulée La lettre d’Amérique, les raisons d’un combat[32]. Dimension positive, les principes universels mis en exergue - les cinq vérités fondamentales, énoncées en introduction - doivent certes être défendus, comme précieux acquis de l’humanité. Mais le diagnostic général mérite d’être approfondi, par une meilleure identification des tragédies du monde contemporain. D’autre part, la définition d’une guerre juste, «menée par une autorité légitime, responsable de l’ordre public» doit être l’objet d’un re-examen. L’histoire de l’humanité montre, en effet, que tous les Etats belligérants et bien entendu, les empires coloniaux et leurs arrières-gardes, les hommes de l’apartheid d’Afrique du Sud hier et aujourd’hui encore d’Israël, ont toujours pu s’accommoder de cette définition, pouvant justifier toutes les transgressions. Mais, au fait, comment se fait-il que La lettre d’Amérique, occulte la tragédie palestinienne ?

 

Tout en comprenant les motivations des signataires de La Lettre d’Amérique, je peux difficilement adhérer à leur discours de la guerre. Au service des grands idéaux, les intellectuels doivent faire valoir les principes de la solidarité internationale, définir les dimensions de la sécurité globale, identifier les stratégies de dialogue et de compréhension mutuelle et participer aux traitements des grandes tragédies humaines.  En tant que citoyens d’une puissance dominant le monde, les intellectuels américains doivent assurer le contre-point moral nécessaire aux politiques, inciter leur gouvernement à se mettre davantage à l’écoute du monde et à se dégager des visions unilatérales, sous l’emprise de certains de ses alliés. Dans l’ère de la communication et de la société de l’information, tous les acteurs de la communauté internationale doivent sortir de leur «splendide isolement» intellectuel et politique.

 

 ∆ ∆

 

 

 

Que dirais-je, en guise de conclusion ! Discours de guerre, démonstration de forces, remue-ménage diplomatique, campagnes de presses, nourries par des «fuites» opportunes, reconstruction d’alliances, que faut-il penser de ces signes annonciateurs de la tempête ? Epiphénomènes, au mieux des indicateurs de tensions, ces agitations de surface doivent être l’objet d’une relecture, qui dégagerait les dessous des cartes. Est-ce que cette escalade, bien orchestrée, n’est pas destinée à sauvegarder un statu quo bénéfique pour les principaux acteurs de la région et d’abord les Etats-Unis. Menacer l’Irak, permettrait de ne pas remettre en question les acquis de la guerre de 1991 et «l’ordre arabe» qu’elle a établi, dans le cadre d’une Pax Americana. Une plus grande satellisation de la région mettrait en cause ce fragile équilibre, dénoncée par la rue arabe et affaiblirait par contrecoup les différents Etats du Moyen-Orient. Les inquiétudes manifestées par les opinions européennes peuvent difficilement être ignorées par leurs dirigeants. En Amérique même, l’aventure irakienne  re-actualise déjà le syndrome vietnamien, de triste mémoire. Auteur de la théorie «du catastrophisme éclairée[33]», Jean-Pierre Dupy rappelle, à juste titre, ce propos de Jonas : “La prophétie du malheur est faite pour éviter qu’elle ne se réalise”. Faut-il re-inscrire l’espérance comme objectif prioritaire, des temps présents ?

Khalifa Chater

Etudes Internationales, n°84, 3/2003

Notes 

[10] - Guillaume Bigot, Les sept scénarios de l’apocalypse, Flammarion, Paris, 2000.

[11] - Voir la présentation par le Secrétaire d’Etat Colin Powel du  rapport sur le terrorisme dans le monde (Conférence de presse, Washington, 21 mai 2002).

[12]  - Voir le rapport sur le terrorisme dans le monde, en 2001, publié le 21 mai 2001, par le Département d’Etat américain. 

[13]  -  Daniel Vernet, “Les trois guerres de Georges. Bush”, Le Monde, 5 juillet 2002, p. 18.

[14] - Daniel Vernet note, par exemple, que la politique du «containment» (limitation de l’ennemi, dans sa sphère géographique) est délaissée au profit de la doctrine du «roll Back» (le refoulement), qui implique une intervention au sein du pays ennemi. D’autre part, «l’action préventive» est désormais préférée à la politique de «dissuasion». Mais nous estimons que cette nouvelle théorie est en cours d’élaboration. Ibid.

[15] - Edward Kennedy et Richard Lugar, “Eriger des ponts culturels vers l’Islam”,  Washington Times, 3 juillet 2002.

[16] - Voir l’interview de Robert Malley, “La solution avait été trouvé à Taba”, Le Nouvel Observateur, n°1965, 4 -10 juillet 2002, pp. 38-41.

[17] - Voir notre étude, “Pour un Etat palestinien, dans les frontières de 1967”, in Israël-Palestine : des utopies ou le cauchemar. Panoramiques, 3e trimestre 2002.  pp. 118-123.

[18] - Déclaration recueillie par la chaîne de télévision al-Jazira, le 12 juillet 2002 et diffusée le 14 juillet, dans le cadre de son émission intitulée «De Washington».

[19] - La paix indésirable, rapport sur l’utilité des guerres, préface de H. McLandress (J. K. Galbrait), Calman Levy, Paris, 1968, 209 pp. Ce livre, est paru une année plus tôt, en Amérique, sous le titre : Report from mountain on the possibility and desirability of peace, Edition Léonard C. Lewin.

[20] - Voir la préface, Ibid. ,  p. II.

[21] - Ibid. , pp. 73-75.

[22]- Ibid. , pp. 124 -127.

[23] - Ibid. , p.183.

[24] - Citons, à titre d’exemples ces évocations de la campagne contre l’Irak :

-     Début juillet 2002, le New York Times avait rapporté que des officiers du commandement central avaient mis au point un plan pour un engagement massif de 250 000 hommes. Voir Mouna Naïm,"Les Etats-Unis réactualisent leurs plans de guerre contre l'Irak", Le Monde du 19 juillet, p.3).

-     Le 16 juillet, le Wal Street Journal (WSJ)  croyait savoir que certains stratèges américains étudient la possibilité d'une opération qui serait un moyen terme entre deux extrèmes : un engagement  à minima qui impliquerait l'aviation et quelques centaines de membres des forces spéciales, opérant avec des forces de l'opposition irakiennes et des militaires qui auraient fait défection et, à l'opposé une intervention massive requérant la mobilisation de quelque 250 000 soldats américains. L’opération médiane prévoit l’engagement de 50 000 à 75 000 militaires. Voir Mouna Naïm, ibid.

-     Le 29 juillet 2002, le  New York Times évoque le scénario d'attaque contre l'Irak (cité par la Presse du 30 juillet 2002).

    -      Le 6 août 2002,  le Wall Street Journal  évoque la présentation par le général Tommy Franks d’un projet d’intervention militaire au Président Bush AFP, Washington, 7 août 2002.

[25]- Déclaration à la presse du roi Abdallah de Jordanie, à Londres. Voir le  Times du 29 juillet 2002 et la dépêche de Reuters du 30 juin 2002.

[26] - Sondage de l’IFOP, réalisé pour Le Journal de Dimanche les 8 et 9 août 2002. Voir la dépêche d’AP, du 10 août 2002.

[27] - Voir, par exemple, l’article « l’Irak menacé, les Etats-Unis critiqués », Le Monde du 7 août 2002.

[28]- Le Président Bush déclara le 1 août 2002, qu’il décidait de consulter le Congrès et les alliés des Etats-Unis sur l’Irak.

[29] - Voir, par exemple, l’article « l’Irak menacé, les Etats-Unis critiqués », Le Monde du 7 août 2002.

[30]- Présenté au Defense Policy Board (DPB), lors d’une réunion du Pentagone, ce rapport évoque, au besoin, d’éventuelles mesures de retorsion. Cette réunion du DPB, avec Laurent Murawiec, le 10 juillet 2002 et la discussion qui s’en suivit ont été rendues publiques par Le Washington Post du 6 août.  Henri Kissinger prit position contre ce rapport, lors de cette réunion. Voir la dépêche d’AP du même jour. Voir aussi Al-Quds du 7 août.

[31] - Voir son article : « L’impasse des relations américano-saoudiennes »,10-11 août 2002.

[32]- Titre de la motion : “Lettre d’Amérique, les raisons d’un combat”. Voir le texte, in Le Monde, 14 février 2002.

[33] - Jean-Pierre Dupy, Pour un catastrophisme éclairée. Quand l’impossible est certain, Le Seuil, Paris, 2002.