Sécurité et sécurisation dans les relations euro-méditerranéennes

 

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Professeur Khalifa Chater

 

 

Professeur Khalifa Chater

Vice-Président de l’AEI,

Tunis

 

 

Ce texte a pour objectif d’examiner la prise en compte et la mise en oeuvre de ces notions dans les relations euro- méditerranéennes, d’appréhender les perceptions plurielles et différentielles de ces valeurs universelles, en relation évidente, il va de soi, avec les lectures des différentes composantes géographiques de l’aire. Ces perceptions différentielles dépendent des « assomptions de fond », c’est-à-dire des références objectives et subjectives de chaque communauté et des pratiques qu’elles génèrent et érigent en modèles[1].

Tenant compte de l’état des lieues, notre approche nécessairement « différenciée », doit faire valoir des critères de référence communs, objet d’un consensus, sinon d’un compromis à construire. Nous rejoignons les vues de l’analyste Jean Dufourcq, qui estime qu’on doit « créer ensemble un nouveau langage de la sécurité et une vision commune de l’avenir [2]». Examinons ces différentes approches et de part et d’autre de la Méditerranée, qui constituent, dans une large mesure, une ligne de démarcation de leurs significations épistémologiques.

I - Dépasser « la culture Schengen de la sécurité » ? : Ruben Zaiotti définit l’approche européenne, par « la culture Schengen de la sécurité », dont l’émergence est associé à l’accord, signé un groupe de pays européens (France, Allemagne et Benelux dans la ville de Schengen), prévoyant de renoncer progressivement aux contrôles aux frontières en Europe continentale.  Ce qui implique « un positionnement central de la sécurité dans les priorités politiques..., (une volonté de) protéger en commun l’Europe des menaces intérieures et extérieures et une suspicion et une méfiance dans les relations avec les pays tiers[3]». Il estime que la politique de voisinage adopte «une vision très euro-centrée de la sécurité régionale[4]», re-actualisant cette approche. Dans cette vision la priorité accordée à la lutte contre l’émigration est souvent instrumentalisée par certains pour culpabiliser le sud-méditerranéen.  Citons dans cet ordre d’idée le diagnostic d’Alvero Vasconcellos qui affirmait récemment : «On a fait de l’émigration un problème dans la relation, pas un facteur de cette relation. Cela a entraîné dans l’Union Européenne un courant xénophobe, contraire à la perspective d’intégration euro méditerranéenne. Regardons les émigrants comme des acteurs de la relation, pas comme un problème[5]». D’autre part, la lutte contre le terrorisme met à l’ordre du jour des amalgames non fondés, mettre à profit pour stigmatiser l’Islam.

Fruit d’un compromis laborieux, la déclaration de Barcelone (1995) avait élargi les dimensions de la vision, lors de sa définition des trois axes d'une sécurité régionale (non-prolifération nucléaire, chimique et bactériologique, prévention de la prolifération nucléaire, chimique et bactériologique au Moyen-Orient et de l'accumulation excessive d'armes conventionnelles et recommandation aux pays du Moyen-Orient afin de "s'abstenir de développer une capacité qui aille au-delà de leurs besoins légitimes de défense". Ainsi formulé la triptyque sécuritaire de Barcelone semble plutôt se référer à des risques pouvant provenir des rives méridionales et orientales de la Méditerranée.

Cette vision est nuancée et révisée par des observateurs avertis, du Sud et du Nord, qui rappellent les dangers que le terreau de la disparité sociale, de l'échange inégal, de la frustration peut contribuer à faire naître. Ils font valoir qu'une politique de co-développement qui mettrait fin à cette asymétrie dangereuse ou du moins l’atténuerait serait le meilleur facteur de sécurité et de stabilité ? Re-équilibrant cette hard security, en y introduisant la soft sécurity, des voies s'élèvent pour montrer l'interaction des différentes dimensions militaires, politiques et sociales du concept sécuritaire global : le développement différentiel, le défi de la mondialisation, la dégradation de l'écosystème[6] etc. D’autres ont évoqué récemment «la sécurité du quotidien» des peuples de l’aire euro-méditerranéenne, «qui partagent un sentiment commun d’insécurité qui mine le développement de leurs relations[7]».

II – Sécurité régionale, l’état des lieues :  Nous distinguons dans l’aire euro-méditerranéenne :

1- des statu quo conflictuels : Balkans, Chypre, Sahara Occidental. La gestion de ces conflits, mais non leur résolution par la communauté internationale et sans doute l’état des rapports de forces entre protagonistes, contribuent à éviter l’affrontement. Mais les risques de reprises des hostilités ne peuvent être exclues.

2 - La question palestinienne qui conditionne l’apaisement des relations et la normalisation des relations qu’elle implique. Ne perdons pas de vue que nous sommes en présence d’un terrain explosif, dont les effets d’entraînement sont d’envergure, alors que la poursuite de la colonisation, la construction du mur ségrégationniste et la poursuite de la «pacification », renvoient aux calendes le processus de paix. Ce qui légitime la résistance nationale, explique la réussite électorale du Hamas et l’établissement d’un contexte de guerre civile. La situation de désespoir peut constituer le terreau de mouvements jusqu’au boutistes, tels que la Kaïda.

3 - La situation dans le Moyen-Orient non-méditerranéen qui constitue le prolongement stratégique et non la périphérie des Etats sud-méditerranéens. Le drame irakien et les risques de guerre contre l’Iran, participent à la création d’un climat d’inquiétude et de colère.

Mais en réalité les risques d’insécurité ne se limitent pas aux foyers conflictuels précités. L’actualité a montré que la menace terroriste des intégristes ne constitue plus un problème de proximité ou de voisinage. Aucun Etat, aucun territoire ne peut se croire, hors d'atteinte de ce fléau. Donnée objective, la guerre d’Irak a permis le développement et l’extension du mouvement de la Kaïda. Sa filiale ou consoeur, la Kaïda du Maghreb définit comme cible le Maghreb et l’Europe. Repli identitaire, nostalgie et peut-être ostracisme, retour du religieux, quête de s’affirmer dans son aire de culture ou tout simplement recherche d’une stratégie alternative, après la prise en compte des échecs, les mouvements islamistes se développèrent dans l’aire arabe, s’érigeant en forces contestataires ou alternatives politiques. Je ne m’attarderais pas sur l’examen de cette question, me bornant à citer cette définition l’analyste Mehdi Mozaffari : «l’Islamisme est une idéologie religieuse, fondée sur une interprétation holistique (globale) de l’islam, dont l’objectif final est la conquête du monde par les différents moyens[8]». Cette définition redimensionne la démarcation idéologique entre tendances modérées et radicales, qui concernent les modalités d’actions, les options tactiques et stratégiques, bien plus que l’objectif final. La non résolution des conflits du Moyen-Orient, les situations d’hégémonie et l’inégal développement permettent aux intégristes et aux fondamentalistes de tous bords d’instrumentaliser ces causes. C’est qui nous amène à faire valoir un traitement global.

Conclusion : «Le processus de Barcelone:Union pour Méditerranée » (13 juillet 2008) re-actualise les relations euro - méditerranéennes et reconstruit un compromis, en relation avec les attentes et les vues des différents partenaires, soucieux de «tirer parti de ce consensus pour que soient poursuivies la coopération, les réformes politiques et socio-économiques et la modernisation, sur la base de l'égalité et du respect mutuel de la souveraineté de chacun[9]». Son approche de la sécurité régionale qui met en avant «la non-prolifération nucléaire, chimique et biologique », affirme que les  parties s'emploient a établir, au Proche-Orient, une zone exempte d'armes de destruction massive, nucléaires, chimiques et biologiques et de leurs vecteurs, qui soit dotée d'un système de vérification mutuelle efficace ». Il faut prendre la mesure de ce rapprochement de points de vues avec les acteurs arabes qui estiment que la dénucléarisation du Moyen-Orient doit concerner tous les pays et ne pas exclure Israël, occultant le discours dominant. L’évocation du processus de paix israélo-palestinien se limite à l’affirmation d’évidence qu’il « requiert une solution globale » mais il occulte diplomatiquement les causes de l’échec du processus.

Fait plus important, la condamnation du terrorisme se réfère à une vision globale de la sécurité : « (Les signataires) soulignent qu'il faut agir sur les facteurs qui favorisent la propagation du terrorisme sous toutes ses formes...  Ils rappellent aussi qu'ils rejettent totalement les tentatives d'associer une religion ou une culture, quelle qu'elle soit, au terrorisme, et confirment qu'ils sont résolus a tout mettre en oeuvre pour résoudre les conflits, mettre fin aux occupations, lutter contre l'oppression, réduire la pauvreté, promouvoir les droits de l'homme et la bonne gestion des affaires publiques, améliorer la compréhension interculturelle et garantir le respect de toutes les religions et croyances. Ces actions servent directement les intérêts de tous les peuples de la région Euromed et vont à l’ encontre de ceux des terroristes et de leurs réseaux[10]».

Cet appel pour le traitement des causes du développement du terrorisme et cette volonté de résoudre les conflits dans ce contexte font valoir un paradigme consensuel, plus indiqué pour servir la culture de la paix et de la sécurité.

 

Khalifa Chater

 (conférence annuelle d’EuroMeSCo : «Les relations euro-méditerranéennes entre continuité et coopération renforcée. Quo vadis Barcelona ? », Amman, 16 et 17 octobre 2008).

 

 


 

[1] - Voir Ruben Zaiotti, «La propagation de la sécurité : l’Europe et la schengenisation de la Politique de voisinage » in http://www.conflits.org/index2471.html. Ruben Zaiotti cite

Swidler A., « Culture in action: symbols and strategies », American Sociological Review, n°51, 1986.

[2] -Jean Dufourcq, in « Sécuriser le Développement durable»,   CEREM, Cahier n°6, « Union pour la Méditerranée », Les actes du Colloque, Paris, 17-18 avril 2008.

 

 

[3] - Ibid.

[4] - Ibid.

[5] - Voir la communication d’Alvero Vasconcellos, dans les actes du Colloque, Paris, 17-18 avril 2008.

[6] - Voir notre étude in Asymétrie et sécurité. in Briefs, EuroMesco. AEI, Tunis, juin 2003.

[7]  - Jean Dufourcq, in « Sécuriser le Développement durable», op.cit.

[8] - Mehdi Mozaffari, « What is islamism ? history and definition concept », in Totalitarisme movements and political religions, vol. 8, n° 1, mars 2007, pp. 17-30. Voir p. 21.

[9]  - Déclaration commune du sommet de Paris pour la Méditerranée, Paris, 13 juillet 2008.

 

[10] - Ibid.