Les perspectives d’élargissement du Dialogue méditerranéen et de l’Initiative de coopération d’Istanbul de l'OTAN à d'autres pays

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Professeur Khalifa Chater

 

 

 

Le dialogue méditerranéen a été lancé, par l’Otan en 1994, dans le cadre de sa mutation après la fin de la guerre froide, son adaptation au nouveau contexte géopolitique international et sa transformation opérationnelle en conséquence. Son ouverture à un partenariat sud-méditerranéen - sept pays non membres de l’OTAN de la région méditerranéenne y participent actuellement : l’Algérie, l’Égypte, Israël, la Jordanie, la Mauritanie, le Maroc et la Tunisie - avait pour objectif de contribuer à la sécurité et à la stabilité de la région et d’instaurer une coopération avec les pays de cette aire, impliquant nécessairement d’établir des relations de compréhension et de confiance. Dans quelle mesure est-ce que l’élargissement de ce partenariat à des pays qui ne sont pas encore associés à ce dialogue ou qui n’y ont pas été invités à le faire, pour incompatibilité géopolitique (Syrie), situation spécifique (Libye) ou  pesanteur d’un contexte spécifique (Liban, Palestine) est désormais possible et opportun ? Dans quelle mesure est-ce que les acteurs de l’Otan et du Moyen-Orient peuvent transgresser la démarcation au Moyen-Orient entre les pays modérés et les pays radicaux, qui se définissent essentiellement par leurs alliances, plus ou moins explicitées sinon assumées et revendiquées avec les USA ou leur refus de l’ordre américain, or l’Otan est, depuis sa genèse, organiquement lié aux Etats-Unis et à son système d’alliance. Si l’extension du dialogue aux pays du Golfe ne semble pas poser de problème aux Establishments, en dépit de l’hostilité des opinions publiques aux engagements américains en Irak et de l’Otan en Afghanistan, opérations régulièrement discréditées par certaines chaînes câblées et les surenchères qu’ils privilégient, la situation est bien différente dans  les cas  de la Syrie, les pouvoirs de fait du Hizballah au Liban et de Hamas à Gaza et dans une moindre mesure en Libye où la conversion géopolitique d’ordre diplomatique n’a pas été suivi d’effet, dans ce domaine.  Pour ces pays, ou plutôt pour leurs régimes, le dialogue avec l’Otan pourrait être, d’une certaine façon, considéré comme une "entrée du loup dans la bergerie". La perception de l’Otan et son image, résultants des positionnements de la guerre froide, des interventions américaines sur le terrain moyen-oriental et de la confusion persistante entre l’organisation atlantique et son acteur important, créent un contexte de méfiance et suspicion, qui occulte les nouveaux objectifs de l’Otan et les mécanismes de leur mise en œuvre.

 

I - Impacts des pays et entités concernés : La Syrie et peut être, dans une moindre mesure, la Jamahiriya, sont deux partenaires clefs, si l’Otan veut élaborer une stratégie transcontinentale, ne fut-ce par leur capacité de freinage, de refus - leurs ennemis parleraient plutôt de «capacité de nuisance ». La Syrie est un acteur important au Moyen-Orient, exerçant son influence au-delà de ses frontières et même dans les pays du Golfe. Le diagnostic prêté à Henri Kessinger estimant que le monde arabe ne peut faire la guerre sans l’Egypte et la paix sans la Syrie, reste opératoire, en dépit d’une redimension relative des capacités respectives des deux pays, dans les deux domaines. La Jamahiriya a une audience incontestable en Afrique Orientale. Qu’on imagine le pas accompli si on réussit à obtenir, par un changement de donne, incluant des conditions d’accords plus convaincants, que ces deux pays s’impliquent comme partenaires de paix. Le Liban dont la souveraineté est sérieusement mise à l’épreuve, par les risques de guerre civile, le blocus de l’élection présidentielle et les interventions opératoires, idéologiques et symboliques, réelles ou non et en tout cas non revendiquées qu’on se plait à dénoncer, de part et d’autre, a une marge de manœuvre plus limitée. Ses Establishments relaient de fait leurs alliances respectives, tout en tenant compte de la surenchère du clan adverse. Ses possibilités de dialogue avec tous les partenaires sont conditionnées par cet équilibre instable qui bloque l’horizon. La situation préoccupante en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, l’échec du processus de paix ou du moins son blocage et l’incapacité d’aboutir qui le caractérisent ne peuvent mettre le dialogue et de surcroît le dialogue avec l’Otan à l’ordre du jour.

Etats dans l’Etat, Hezballah au Liban et Hamas, sur les terres palestiniennes, occupent de fait, ne serait-ce que conjoncturellement, des espaces territoriaux. Dans leurs cas il s'agit, par définition, d'acteurs non-étatiques, susceptibles bien entendu d'être soutenus par des Etats proches idéologiquement, qui peuvent exercer des influences certaines, qu'on surestime à dessein. Mais ces deux entités restent maîtresses du jeu, qu'il nous suffise de rappeler les relations entre les mouvements de résistance et leurs soutiens étatiques, durant l'ère de la décolonisation. Elles échappent à la conflictualité théoriquement régulée entre Etats. Dans ce cas, l’analyste doit également reconnaître « les tensions dialectiques[1] », - je dirais plutôt la complémentarité - entre la légalité (celle du système étatique) et la légitimité (celle de la résistance nationale). D'un certain point de vue, on peut affirmer qu'en rejetant de fait le processus de paix, l'Etat israélien crée une situation de vulnérabilité, l'exposant à la résistance nationale, en Palestine et au Liban.

 

II- Des pays dans le camp adverse : l’actualité stratégique du Moyen-Orient atteste l’existence d’une démarcation géopolitique, identifiant des relations conflictuels entre les acteurs locaux et régionaux, en relation avec l’Establishment américain. L’actualité moyen-Orientale inscrit, comme fait d’évidence, l’alliance stratégique de l’Iran et de la Syrie[2]. Leurs contentieux avec les Etats-Unis, leurs positions radicales et "la portée prosélyte et expansionniste des idéologies qu’ils incarnent (nationalisme panarabe pour la Syrie, islamisme révolutionnaire pour l’Iran[3])", expliquent leur entente stratégique, en opposition avec le clan des Etats modérés, les pays du Golfe, la Jordanie, l’Egypte, qu’ils accusent de ménager les Etats-Unis, par leur souhait de complaire à Washington, sinon la peur de lui déplaire. Dans leurs visions stratégiques, ils perdent souvent de vue que les positions des Etats et des régimes modérés, tels celui du Fath palestinien résultent, dans une large mesure, d’un processus interne d’évaluation de la situation, des rapports de forces régionales et internationales et des options idéologiques.

Il ne s’agit, en fait, ni d’une sainte alliance ni d’une contre-alliance sainte. L’Iran est une théocratie chiite perse tandis que la Syrie, pays  à majorité sunnite, a un régime laïc et panarabe. Mais l’équipe dirigeante de Damas - fut-elle d’idéologie baathiste ! - est issue de la minorité alaouite. Le chiisme explique, certes, le rapprochement entre les deux régimes et peut cibler une alliance éventuelle avec la majorité chiite irakienne. Mais il faut nuancer le jugement. Les deux régimes coopèrent certes avec l’organisation chiite Hezballah au Liban. Mais les deux régimes soutiennent le mouvement sunnite Hamas, qui conteste le parti Fath, en Palestine. En Syrie, le discours fondateur du nationalisme arabe reste dominant. Mais la laïcité du Baath s’accommode d’un ménagement diplomatique de l’Islamisme, hors du pays. La démarcation nous apparaît plus géostratégique que religieuse, bien que les frontières chiites et sunnites correspondent schématiquement à la carte des alliances. Mais la sur-dimension du péril chiite fait plutôt partie de la polémique politique.

Dans quelle mesure est-ce que l’alliance Téhéran-Damas est conjoncturelle ? Mêmes adversaires (les USA et Israël), certes, mais les deux régimes ont deux discours fondateurs, difficilement conciliables. D’autre part, le régime baathiste syrien fait front à l’opposition islamiste, sunnite certes, mais proche de la doctrine iranienne. Et d’ailleurs, Damas et Téhéran n’ont pas les mêmes priorités. En ce qui concerne le processus de paix, Damas s’inscrit dans le front du refus, avec les tendances palestiniennes de son obédience, qu’elle accueille et/ou entretient, tout en souhaitant trouver l’opportunité de recouvrer le Golan. D’autre part, en dépit de son opposition déclarée, elle cherche à ouvrir un dialogue avec les Etats-Unis. Citadelle assiégée, elle souhaite, par raison d’Etat, sortir de son isolement. Un nouveau contexte, tel celui de la première coalition contre l’Irak, en 1991, qui assura sa participation aux côtés des alliés, permettrait de changer la donne. D’autre part, la démonstration de forces américaine contre le régime irakien lui a sûrement permis de réviser son appréciation du contexte, confortant la stratégie de ses moyens.

L’Iran, par contre, adopte une stratégie globale, vis-à-vis des différents terrains et acteurs du Moyen-Orient. Il n’a pas l’approche de Damas, vis-à-vis du Liban, qui le considère comme son terrain privilégié, par le voisinage, l’histoire et l’interpénétration effective des intérêts.  Le lien organique de Téhéran, avec Hezballah - son bras armé selon ses ennemis - n’occulte pas l’ensemble des acteurs, dans une vision ostraciste, limitant ses enjeux et ses partenaires. L’Iran s’érige en puissance régionale dans l’aire. En dépit de ses désaccords avec la Syrie, les Etats-Unis pouvaient donc estimer qu’un compromis était envisageable avec elle, parce que ses dirigeants exprimaient des objectifs définis, donc limités. Le cas était différent pour l’Iran, vu son "dessein conscient" d’user de son influence, en tant que puissance régionale et surtout sa politique de puissance incompatible avec l’hégémonie que les Etats-Unis exercent dans l’aire. Les analystes de la Maison Blanche adoptent peut-être les vues de l’éminent analyste du Foreign office, Eyre Crowe qui estimait que "la stabilité ne dépendait pas des motivations, mais de la structure"[4], c’est-à-dire que la capacité importait plus que les intentions. De ce point de vue, l’hyperpuissance ne pouvait s’entendre avec la puissance régionale qui contestait d’ailleurs sa stratégie au Moyen-Orient.

Dans quelle mesure est-ce que la recomposition du paysage politique, par la construction, par souci de Realpolitik, d’une alliance Riyad, Le Caire, Damas, ne permettrait pas de calmer le jeu, de redimensionner les interventions des acteurs extérieurs, y compris l’Iran et le Pakistan, épicentre de crises et les risques de dérives qu’ils favorisent et de créer un climat plus propice au processus de paix. Une telle stratégie permettrait, non seulement de dégager l’aire arabe des effets de la bipolarité conflictuelle USA/Iran, mais aussi peut-être de l’atténuer. Nous avons vu précédemment que le compromis est possible avec la Syrie, vu ses objectifs définis et donc limités. Mais dans quelle mesure est-ce que les Etats-Unis, peuvent s’accommoder d’un réalignement de ses alliés, dans le cadre d’une vraie politique de détente.

La Jamahiriya est actuellement dans une situation de pause, de réflexion, sinon de repli. Elle a pris acte des nouveaux rapports de forces, remis en cause son potentiel militaire embryonnaire de destruction massive, dans le cadre de l’application de la politique de non-prolifération. Elle a, d’autre part, envisagé de normaliser ses relations avec les Etats-Unis et les puissances occidentales. Le discours du guide anti-intégriste et antiterroriste conforte ce rapprochement. La Jamahiriya est, d’après mon approche, susceptible de traverser le Rubicon et d’envisager dans le cadre d’une politique de « normalisation », un dialogue avec l’Otan. On ne peut écarter définitivement, dans le cadre d’une rupture déjà annoncée avec le discours fondateur, la possibilité, à plus ou moins brève échéance, d’une coopération qui concernerait des objectifs communs. Rien n’empêcherait dans le cadre du suivi de la nouvelle politique libyenne et des effets de sa stratégie à l’écoute des mutations géopolitiques. Prenons la juste mesure de sa prise en charge d’un retournement de situation d’envergure, quelle a assumé. 

Dans l’état actuel de la carte géopolitique, excepté le cas spécifique de la Jamahiriya, le dialogue des pays et des entités, objets de notre communication, et l’Otan ne semble possible que si l’Alliance affirme son autonomie et sa collégialité et qu’elle confirme sa vocation politique et diplomatique (y compris la coopération en matière de formation), la privilégiant par rapport à sa dimension militaire ou opérationnelle.  Le peut-elle alors que son itinéraire a mis en valeur et consolidé sa capacité militaire ?

 

III - L’Otan, la pesanteur de l’historique : L’approche doit poser comme postulat la question préliminaire : L’Otan alliance de qui et contre qui ? L’organisation atlantique a établi, depuis sa genèse, ses objectifs, ses références et ses fondamentaux.  Instrument de défense du monde occidental, contre le monde communiste, durant la guerre froide, l’Otan a dû ménager ses membres fondateurs européens, qui étaient des puissances coloniales. Fait d'évidence, elle ne s’est pas engagée dans la décolonisation et n’a pas ménagé le neutralisme politique, considéré comme allié objectif du monde communiste. Dans le cadre de l’extension de la bipolarité, au Moyen-Orient, l’Otan et ses composantes se sont trouvés impliqués dans l’alliance occidentale, contre la mouvance nassérienne et ses alliés en Syrie, au Liban, et plus tard en Irak et en Libye, après le changement de leurs régimes. Etant donné que la défense de la cause palestinienne était, durant la guerre froide, davantage prise en charge par les pays de l’Est, l’opinion publique arabe - et cela est davantage plus marqué dans l’aire du nassérisme et du Baath - classait les pays occidentaux et l’Otan qui les intégrait, dans le clan de ses ennemis. Cette image historique de l’Otan continue à la définir, auprès d’une large opinion moyen-orientale, en dépit des mutations géopolitiques annoncées par l’effondrement de l’URSS.

Est-ce que l'examen des activités opérationnelles de l'Otan justifie une opposition frontale, catégorique et irréductible entre l'Alliance et les pays précités ? Ses intervention militaires en Afghanistan et aux Balkans, sa mobilisation contre le terrorisme et ses missions qui entrent dans le cadre du maintien de la paix (Kosovo, dispositions de soutien aux missions ONU et OUA au Darfour et mission de formation militaire en Iraq) n'ont pas comme ennemis et même comme protagonistes ces pays. Et d'ailleurs, l'esquisse d'un large partenariat est destiné à favoriser l’établissement de relations solides avec les pays du Dialogue méditerranéen (DM) et de l'Initiative de coopération d'Istanbul (ICI), ainsi qu'avec les pays de contact, en vue de contribuer à la stabilité et à la sécurité dans l’ensemble de la région euro-atlantique et au-delà. La démarcation s'expliquerait plutôt par le fait qu'on n'exerce pas dans les mêmes aires d'alliances, qu'on n'a pas le même référentiel politique sinon idéologique et qu'on n'a pas la même lecture de passé immédiat et de ses contentieux.

L’impopularité de l’invasion de l’Irak, par exemple, affectait l’Otan puisque son principal partenaire et ses alliés, durant la phase de déclanchement de la guerre le Royaume-Uni, l’Espagne et l’Italie, s’y étaient impliqués, en dépit de la non-participation de l'Alliance Atlantique dans la guerre.  Fussent-ils hostiles au pouvoir des Talibans en Afghanistan et aux opérations terroristes de la Qaïda, les opinions publiques du Moyen-Orient avaient des sentiments mitigés vis-à-vis de l’escalade et étaient choquées par l'amalgame, entre terroristes et musulmans, instrumentée dans ce contexte, mettant à l’ordre du jour le combat de civilisations, qui désignait, l’Islam, comme nouvel ennemi de l'Occident. Le dialogue de l’Otan avec l’aire arabe et en premier lieu, les pays objets de notre étude, implique une correction de l’image historique de l'Otan et sa dénonciation de certains stratèges qui érigent volontiers l’Islam en nouvel ennemi de l’Occident et envisagent de la placer volontiers comme cible de l’Otan. Cette thèse relevant bien souvent du politiquement correct de l’opinion occidentale est rejetée officiellement par l’Otan qui a «pris acte de l’Initiative sur une Alliance des civilisations lancée par le Secrétaire général des Nations Unies, ainsi que de l'Initiative «Forum pour l'avenir » du G 8» (sommet de Riga, 29 novembre 2006).

Fait d’évidence, la nature de la mutation de l’Otan conditionne évidemment la redéfinition de ses objectifs, sa zone d’intervention préférable et les partenariats qu’elle peut nouer, en conséquence. Nous nous référons, à l'étude prospective de l'amiral Jean Dufourq, identifiant les nouvelles dispositions géopolitiques, opérationnelles et fonctionnelles[5] de l’Alliance Atlantique éventuelles et présentant des pistes, sinon des scénarios. "La piste fonctionnelle qui consiste à rassembler dans l’Alliance d'abord ceux qui se sont engagés dans la lutte contre la prolifération des armes de destruction massives[6]" ne nous parait pas en mesure d'être, en l'état actuel des choses, susceptible de bénéficier d'un consensus entre l'Alliance et les pays précités, en dépit de la perception commune de la gravité de l'enjeu. Nous rappelons, en effet, que toute politique de non-prolifération est "par essence discriminatoire", puisque "contraire au principe d'égalité souveraine entre les Etats[7]". La tentative de justifier la guerre irakienne, par la présence des armes de destruction massive ou par le terrorisme, par le principal partenaire de l’Otan a été mal appréciée. La confusion entre la Qaïda et le régime saddamien n'était pas crédible. D'autre part, l'occultation de la menace nucléaire israélienne reposait le problème de «deux poids, deux mesure". De même l'assimilation de la résistance au terrorisme, en Palestine, perturbe l'accueil du discours, à moins de revoir cette appréciation, considérée comme partisane, par une application rigoureuse des normes.

La piste opérationnelle qui se proposerait "d’être le creuset de toutes les coalitions militaires du monde occidental[8]" correspond davantage à la vocation de l'Otan. Mais en quoi pourrait-elle intéresser les partenaires étrangers, n'adhérant pas systématiquement aux vues occidentales et leur perception comme périphérie et parfois théâtre d'opération des pouvoirs hégémoniques. La piste géopolitique, "qui vise surtout à stabiliser les abords du continent européen" précise d'ailleurs la piste opérationnelle. Faut-il accorder du crédit à "la piste démocratique", favorisant "la constitution d’une union des démocraties de par le monde" ? Or, nous savons que les velléités d'ingérence sont vivement critiqués. D'autre part, les résultats obtenus en Irak permettent plutôt de faire valoir la démocratisation par la dynamique interne, fut-elle progressive !

Etant donné que l'opinion dominante confond l'Otan avec les Etats Unis et l'Occident, la correction de cette image impliquerait de mettre d'avantage en avant la collégialité de la direction de l’Otan et la participation de tous les partenaires à ses références et à ses mécanismes de décision. La mutation exigerait peut être de dépasser la configuration fondatrice d'une "alliance entre riverains transatlantiques", d'assurer une plus grande ouverture, susceptible de mettre au programme une vision de paix ou du moins de relations apaisés, de solidarité internationale et de contribution au co-développement. Ce qui nous permet d'opter pour la troisième voie identifiée par l'amiral Dufourq d'une "organisation plus globale qui cherche à se placer au centre du jeu stratégique du 21e siècle, en nouant des partenariats stratégiques avec tous les acteurs du jeu (département du maintien de la paix, G8, Banque Mondiale, Croix Rouge[9]). Les sommets successifs de l’Otan qui recadrent régulièrement ses priorités et ses visions géopolitiques et opérationnelles semblent attester que la mutation annoncée s’oriente vers cette voie. Qu’il nous suffise de rappeler le diagnostic global du sommet de Riga qui affirme : « jamais paix, sécurité et développement n’ont été autant interdépendants[10]». Une nouvelle identification des secteurs d’activité, telle, à titre d’exemple significatif, l’organisation d’un atelier sur la sécurité environnementale et ses dimensions relatives à la raréfaction de l'eau, la dégradation des terres et la désertification montre un élargissement bénéfique, dans le cadre d’un universalisme revendiqué[11]. 

 

Conclusion : L’élargissement du dialogue à la mouvance dite «radicale» du Moyen-Orient ne pourrait donc se réaliser que par la conjonction d’un double changement :

1 - L’évolution vers un apaisement des situations au Moyen-Orient et une normalisation conséquente des relations entre les acteurs sur la scène, conséquence du traitement de la question palestinienne et du règlement de la question irakienne etc. Ce qui permettrait la remise en question des discours de guerre, la mise à l’ordre du jour du développement et l’évolution progressive, des régimes, par la dynamique interne, débarrassée des priorités de défense du contexte d’affrontement. Ce qui permettra l’émergence d’un Moyen-Orient nouveau.

2- La mutation de l’institution atlantique, la dégageant davantage des contentieux géopolitiques, recorrigeant son image auprès de l’opinion arabe et assurant le développement des nouvelles formes de coopération globale, en vue de l’émergence d’une nouvelle Otan.

Est-ce à dire que l’extension du dialogue méditerranéen de l’Otan, vers les pays précités n’est pas pour aujourd’hui ? Un diagnostic objectif, prenant ses distances par rapport aux discours de surenchère, débarrassé des vues approximatives ou partisanes, dégageant les opportunités nouvelles, d’un apaisement des relations, prenant en ligne de compte les états de faits, les situations de frustration et les malentendus qu’elles créent, est en mesure d’inscrire ce dialogue, dans le domaine du possible. Il contribuera à développer la culture de la paix, et la coopération solidaire. Me permettrais-je d’avancer, comme préalable indispensable, le rejet du discours de guerres de civilisations, propagées par les extrémismes des deux bords, puisqu’il perturbe les appréciations réelles des problèmes, fausse l’élaboration de scénarios stratégiques et empêche la définition des enjeux d’un universalisme revendiqué. 

 

Professeur Khalifa Chater

chaterkhalifa@topnet.tn

(Séminaire  « Quel avenir pour le dialogue méditerranéen

de l’Otan et l’initiative de coopération d’Istanbul»,

collège de Défense de l’OTAN, Rome,  5, 6 mai 2008).

 

 

 

 

 

 


 

[1] - Voir l'étude d'Eric Chevallier " L'Otan et les Balkans, pistes pour une question qui se rappelle à nous», in Resarch paper, n° 13, novembre 200', pp. 2- 4.

[2] - Mouna Naïm, « Syrie et Iran, une alliance stratégique », Le Monde, 30 mars 2007.

[3] - Masri Feki "L'axe irano-syrien est-il durable ? ",  Turkish Daily News, jeudi, le 26 juillet 2007. Voir site http://www.afemo.fr/

[4] - Voir le mémorandum de cet analyste, en date du 1er janvier 1907. Eyre Crowe expliquait ainsi la menace allemande, au début du XXe siècle. Les citations de ce mémorandum par Henry Kissinger montre que la Maison Blanche le considère comme une importante référence. Voir Henry Kissinger, Diplomatie, Paris, Fayard, 1996, pp. 174-175.

[5] - Jean Dufourq, "nouvelles responsabilités d l’union Africaines, nouvelles dispositions de l’Alliance Atlantique" in Resarch paper, n° 27, avril 2006.

[6] - Ibid., p. 3.

[7] - Voir Pierre Lelouche, Le nouveau monde, de l’ordre de Yalta au désordre des nations, Paris, Grasset, p. 347.

[8] - Jean Dufourq, in Resarch paper, n° 27, avril 2006.op.cit..

[9] - Ibid.,

[10] - Directive Politique Globale, paragraphe 3. Sommet de l’Otan, Riga, 29 novembre  2006.

[11] - Atelier organisé conjointement par la Division Diplomatie publique de l'OTAN, la Présidence espagnole de l'OSCE et le Bureau du coordinateur des activités économiques et environnementales de l'OSCE (Valence,  Espagne, 10 décembre 2007)