Le processus de Barcelone, Union pour la Méditerranée :

Les Ambitions d'une nouvelle institution de partenariat régional

revenir à la page d'accueil  

 

Professeur Khalifa Chater

vice-Président de l'AEI, Tunis.

 

Le sommet fondateur de l’Union pour la Méditerranée (Paris, 13 juillet 2008) a réuni 43 pays, les 27 de l'Union européenne et tous les pays côtiers de la Méditerranée, à l’exception de la Libye (16 pays). Le Président Sarkozy a réussi à adapter son projet, aux exigences de ses partenaires de l’Union Européenne - à le redimensionner de fait, dirait-on - et à «vaincre les réticences de certains participants du Sud. « Relance en grandes pompes du processus amorcé à Barcelone en 95[1]», ou création d’une institution nouvelle sur les fondations de l’édifice barcelonais, peut importe ! L’UPM a pour objectif de relancer le partenariat euro-méditerranéen, de lui ouvrir l’horizon et de réaliser des projets communs, concrétisant cette démarche solidaire. Tout « événement dépendant de ce qu’il devient », du dépassement de son état générique virtuel, nous devons saluer cet événement fondateur, bâtir en commun cette entente et la matérialiser par la mise sur pied de   programmes d’action, au niveau de nos ambitions.

L’idealtype de l’UPM : Objectif déclaré de la nouvelle institution : «relancer les efforts afin de transformer la Méditerranée en un espace de paix, de démocratie, de coopération et de prospérité». De ce point de vue, l’UPM, appelé désormais « Le processus de Barcelone : une Union pour la Méditerranée, « s'appuie sur la déclaration de Barcelone et les objectifs de paix, de stabilité et de sécurité qui y sont énoncés, ainsi que sur l'acquis du processus de Barcelone[2]». La formule de construction de cet espace commun est ainsi définie « un partenariat multilatéral visant à accroître le potentiel d'intégration et de cohésion régionales[3]». Plus que le partenariat et moins que l’intégration, le compromis de l’UPM annonce une avancée dans le processus de reconstruction de l’aire du partenariat euromed. Notons cependant, que la Déclaration fondatrice de l’UPM a l’ambition d’atténuer l’unilatéralisme du processus de Barcelone et de lui assurer plus de visibilité citoyenne et de participation populaire effective. Les chefs d’Etat soulignent en effet que «la responsabilité du processus doit être mieux partagée entre tous les participants, et qu'il convient de rendre ce processus plus pertinent et plus concret aux yeux des citoyens[4]». Il s’agit de relever ensemble les défis ainsi énoncés qui se posent à la région comme « le développement économique et social; la crise mondiale dans le domaine de la sécurité alimentaire; la dégradation de l'environnement, y compris le changement climatique et la désertification, en vue de favoriser le développement durable; l'énergie; les migrations; le terrorisme et l'extrémisme; la promotion du dialogue interculturel[5]». Cette définition met en valeur les questions socio-économiques, hors de leur contexte politique que la déclaration ne met point comme priorité de l’ordre du jour. Ce diagnostic préférentiel sera cependant corrigé dans la formulation des ambitions stratégiques du projet. En effet, tout en privilégiant, cependant, le traitement des questions non politiques, en évoquant les programmes de coopération, en rejetant à plus tard, la création d’un climat propice, par la résolution des conflits, la Déclaration de Paris mentionne la donne politique du partenariat, dans l’énoncé des ambitions stratégiques :

«Pour atteindre ces objectifs communs, les participants conviennent de poursuivre avec un regain de dynamisme leurs efforts en faveur de la paix et de la coopération, d'analyser leurs problèmes communs et de transformer ces bonnes intentions en actions[6]... 

Cette initiative traduit également une aspiration commune a instaurer la paix ainsi que la sécurité au niveau régional conformément a la déclaration de Barcelone de 1995, qui favorise,entre autres, la sécurité régionale en oeuvrant en faveur de la non-prolifération nucléaire, chimique et biologique en adhérant et en se conformant a une combinaison de régimes internationaux et régionaux de non-prolifération, et d'accords de limitation des armements et de désarmement, tels que le TNP, la CWC, la BWC, le CTBT, et/ou a des arrangements régionaux, comme des zones exemptes d'armes, y compris leurs systèmes de vérification, ainsi qu'en respectant de bonne foi les engagements des parties au titre des conventions de limitation des armements, de désarmement et de non-prolifération.Les parties s'emploient a établir, au Proche-Orient, une zone exempte d'armes de destruction massive, nucléaires, chimiques et biologiques et de leurs vecteurs, qui soit dotée d'un système de vérification mutuelle efficace[7]... »

Nous remarquons que la déclaration dépasse les vues limitatives de l’Union Européenne, dans l’identification des menaces de prolifération nucléaire, chimique et biologique et en élargissant la vision à l’ensemble du Moyen-Orient, incluant de fait, mais sans l’expliciter, le nucléaire israélien. Le processus de paix israélo-palestinien[8] est évoquée d’une façon générale, privilégiant une approche consensuelle, évitant de citer les résolutions de l’ONU et l’identification des problèmes, ainsi d’ailleurs que les pourparlers israélo-syriens, alors que la communauté arabe souhaitait une position plus engagée, susceptible de dynamiser le processus, en tenant compte des pesanteurs de l’occupation et de la colonisation. La Déclaration de Paris atteste d’ailleurs les limites du compromis fondateur de l’UPM. La déclaration fait certes valoir, que les signataires « confirment qu'ils sont résolus a tout mettre en oeuvre pour résoudre les conflits, mettre fin aux occupations, lutter contre l'oppression, réduire la pauvreté, promouvoir les droits de l'homme et la bonne gestion des affaires publiques, améliorer la compréhension interculturelle et garantir le respect de toutes les religions ». Mais la vision globale de l’approche permet de prendre des distances par rapport aux différends géopolitiques qui mettent en cause la paix dans la région[9]. Notons, cependant, que l’instauration de relations de paix - une priorité sinon un postulat d’après les participants arabes - est évoquée dans la définition des ambitions stratégiques de la Méditerranée. Est-ce à dire que cela ne concerne pas dans le court et le moyen terme, l’action du processus de Barcelone : une Union pour la Méditerranée ?

 

Un partenariat novateur : Tout en considérant que «le processus de Barcelone, constitue l'instrument central des relations euro-méditerranéennes[10]», le chefs d’Etat définissent le nouveau processus comme un «partenariat renouvelé pour le progrès[11]» puis se réfèrent à « un partenariat renforcé[12]». Dans le cadre de cette institution multilatérale, « le partenariat euro-mediterranéen demeure un processus ouvert a tous inspire dans tous ses aspects par le principe du consensus et dont les modalités en matière de projets seront déterminées lors de la prochaine réunion des ministres des affaires étrangères, qui se tiendra en novembre 2008[13] ». Il s’agit donc d’une union à géométrie variable, impliquant une adhésion volontaire au processus et à ses projets. Innovation par rapport au processus de Barcelone, dont il prend en charge les objectifs, le plan quinquennal de travail adopté au sommet de 2005, les conclusions des différentes réunions ministérielles qu’il a organisées, les priorités qu’ils a définies (la migration, l'intégration sociale, la justice et la sécurité) et l’élaboration d’une zone de libre échange jusqu'en 2010 et au-delà[14]), le processus de Barcelone : Union pour la Méditerranée se propose : « d’imprimer un nouvel élan au processus de Barcelone :

- en rehaussant le niveau politique des relations de l'UE avec ses partenaires méditerranéens;

- en prévoyant un meilleur partage de la responsabilité de nos relations multilatérales; et

- en rendant ces relations plus concrètes et plus visibles grâce à des projets régionaux et sous-régionaux supplémentaires, utiles pour les citoyens de la région[15]».

Mode d’action privilégié, «la mise en oeuvre de projets qui renforceront le flux des échanges entre les citoyens de l'ensemble de la région. A cet égard, ils conviennent que cette initiative comporte une dimension humaine et culturelle[16]». Compromis laborieux entre les partenaires de part et d’autre de la Méditerranée, les voeux du Sud, concernant  la circulation des personnes et la promotion des migrations légales et ceux du Nord, relatives à la lutte contre les migrations clandestines, sont évoqués comme résultats potentiels de la réalisation des projets identifiés.  Mais dans quelle mesure est-ce que le traitement, par ce biais, « des sujets d'intérêt ... selon une approche globale, équilibrée et intégrée » n’est pas un voeux pieux, difficile à mettre en exécution ?

 L’appellation retenue par le compromis de l’Union Européenne «Processus de Barcelone, Union pour la Méditerranée UPM» réalise de fait la fusion entre les deux processus, tout instituant le partenariat et en le dotant de mécanismes de fonctionnement multilatéralistes puisqu’il « consiste a renforcer les relations multilatérales, à accroître le partage de la responsabilité du processus, a fonder la gouvernance sur l'égalité de toutes les parties et a traduire le processus en projets concrets qui soient davantage visibles pour les citoyens[17] ». Nous remarquons, cependant, qu’il ne prévoit pas une articulation institutionnelle ou même un partage de charges avec la politique de voisinage, optant pour les relations bilatérales, qui a pris de fait le relais du processus de Barcelone de 1995. De ce point de vue, l’Union Européenne garde ses prérogatives unilatérales dans ses relations essentielles avec chaque pays sud-méditerranéen, en attendant les changements qui peuvent être induits, comme effet d’entraînement du processus plus équilibré de l’UPM.

 

Mode de fonctionnement du PB-UPM : Des Sommets bisannuels des chefs d’Etat ou de gouvernements rédigeront une déclaration politique et choisiront les projets régionaux à mettre en oeuvre. Des réunions annuelles des ministres des Affaires étrangères assureront le suivi[18]. Une Assemblée parlementaire euro-méditerranéenne (APEM) sera l'expression parlementaire légitime du processus de Barcelone : une Union pour la Méditerranée ». Mais ses prérogatives ne sont pas définies[19]. Le dialogue entre les cultures sera assuré par la Fondation euro-méditerranéenne Anna Lindh, en tant qu'institution euro-méditerranéenne, en coopération avec l'Alliance des civilisations des Nations unies[20]. Un secrétaire général assurera le fonctionnement. Il serait confié, ainsi que le siège à un pays du Sud, selon les propositions initiales françaises. Notons cependant, que le compromis de Paris crée un bureau parallèle à Bruxelles, qui « apportera son concours aux réunions des hauts fonctionnaires et à leur préparation, et en assurera le suivi adéquat; il pourra aussi servir de mécanisme de réaction rapide dans le cas ou surviendrait, dans la région, une situation exceptionnelle nécessitant la consultation des partenaires euro-méditerranéens[21]». La formulation vague des prérogatives du bureau alternatif de Bruxelles risque d’accorder la préséance au bureau émanant de l’Union Européenne, qui sera conforté par l’Etat des rapports de forces, entre les pays de part et d’autre de la Méditerranée.

Fait inattendu, l’institution ne dispose pas d’un budget de fonctionnement. Elle doit faire appel à la participation du secteur privé, d'institutions financières internationales, d'entités régionales, des contributions d'autres pays, et dans les limites des possibilités, des contributions du budget de l'UE. Cette défection financière de l’Union Européenne, alors que certains géopoliticiens, avançaient la proposition d’un plan Marshall, doit être soulignée. Elle risque de constituer un handicap sérieux à la réalisation des objectifs de la nouvelle institution. Le choix des projets - bien en deçà des espérances des populations du Sud - s’expliquerait, dans une large mesure, de ce lourd handicap financier. Fussent-ils opportuns, les projets initiaux présentés - dépollution de la Méditerranée, autoroutes de la mer et autoroutes terrestres, protection civile, plan solaire méditerranéen, université euro-méditerranéenne et l'initiative méditerranéenne de développement des entreprises - manquent d’envergure et ne répondent pas aux graves défis socio-économiques de la région.

 

Conclusion : Le processus de Barcelone, Union pour la Méditerranée met sur pied un processus d’articulation entre les espaces proches européens et méditerranéens. Dépassant la simple ouverture de marchés, qui s’accommode de l’inégal échange, des rapports d’asymétrie et du développement différentiel, creusant davantage la fracture sociale de part et d’autre de la Méditerranée, la nouvelle institution peut mettre sur pied une véritable zone de paix, de co-développement et de dialogue culturel. Pour l’Europe et pour l’ensemble des pays qui baignent la Méditerranée, il était important, à l’heure de la mondialisation, de développer et d’instituer les relations qu’ils entretiennent avec leur environnement. Le processus de Barcelone, Union de la Méditerranée a le mérite de redynamiser le processus de Barcelone qui «est le symbole de cette démarche[22]». Mais les difficultés qui ont paralysé Barcelone (blocage du processus de paix, occultation de la politique de co-développement, obsessions sécuritaires etc.) n’ont pas été aplanies. Est-ce que la direction collégiale de ce multilatéralisme peut concilier les intérêts divergents, prendre en ligne de compte les visions différentielles Nord-Sud et construire les compromis nécessaires ?

Par le nombre de ses participants et l’importance des séances de concertation qui ont pu se réunir, dans ce contexte - qu’il nous suffise d’évoquer les rencontres sur la question du Liban, les relations israélo-palestiniennes et syro-israéliennes - le sommet fondateur de la nouvelle institution fut une réussite. Le contexte international y était certes favorable. Peut-on parler d’avancées diplomatiques réelles ? Dans ce genre de questions, la création d’occasions de rencontres peut faciliter le traitement des problèmes, en relation avec l’appréciation par les acteurs des situations réciproques et des rapports de forces. Tout dépend, en dernier lieu, des protagonistes, des acteurs sur le terrain. Le Sommet permit cependant de corriger la formule apolitique du projet initiale. Exclue de la porte du Sommet, la géostratégie est entrée par la fenêtre. La déclaration finale dut en prendre compte, selon les voeux des participants du Sud.

Peut-on parler d’un « réussite du sommet, et d’un échec du projet » ?  Nous ne partageons pas cette perception de tel « paradoxe » par Olivier Ferrand[23].   Mais nous souhaitons que le processus de Barcelone, Union pour la Méditerranée soit au niveau du Sommet et qu’il permette de réaliser une véritable percée, imposant la communauté euro-méditerranéenne, comme enjeu de solidarité, de co-développement et de dialogue de civilisations.

Des efforts doivent être accomplis, à cet effet, par la réunion ministérielle de novembre, qui doit finaliser le projet, choisir le secrétaire général, confirmer le choix du siège dans le Sud et veiller scrupuleusement à assurer une appropriation collective de l’institution, confirmée par la gestion collective qui a fait défaut dans l’institution de Barcelone et largement contribué à sa redimension. Fait plus important, l’UPM doit identifier les défis communs, répondre aux attentes de tous et oeuvrer pour instaurer le climat de paix propice à toute coopération d’envergue. Sa réussite est à ce prix. Elle permet de conforter les espoirs optimistes de ceux croient à ce projet historique.

Professeur Khalifa Chater

(publié in http://www.afkaronline.org

et http://www.luso-arabe.org/)


 

[1] - Euronews,  14 juillet 2008.

[2] - Préambule de la Déclaration fondatrice de l’UPM/

[3] - Ibid.

[4] - Ibid.

[5] - Ibid.

[6]  - Ibid. Aliéna 1

[7] -  Ibid. Aliéna 5.

[8] -  Ibid.Alièna 7.

[9] -  Ibid.Alièna 8.

[10] - Déclaration de l’UPM, « une ambition stratégique pour la Méditerranée, aliéna 2. 

[11] -Ibid, aliéna 1.

[12] -Ibid. Aliéna 4.

[13] - Ibid. Portée et principaux objectifs.Alinéa 10.

[14] - Ibid. Portée et principaux objectifs.Alinéa 11.

[15] - Ibid. Alinéa 14.

[16] - Ibid.  Alinéa 12.

 

[17] - Ibid.  Alinéa 9.

[18] - Clause 16.

[19] - Clause 17.

[20] - Clause 18.

[21] - Clause 26.

[22] - Nous partageons les vues de Dominique David, Sécurité : L’après- New York, Presses de de Sciences Po, Paris, 2002, p. 98. 

[23] - Voir l’article d’Olivier Ferrand: « Union pour la Méditerranée: succès du sommet, échec du projet » in http://www.rue89.com